Au cœur de l’identité, des valeurs et du tissu social du Ghana, le christianisme s’épanouit au sein d’Églises charismatiques plus puissantes que jamais. Un contexte où les risques de dérives sont grands: certains courbent plus facilement la tête face à l’exploitation, évitent des traitements médicaux, s’appauvrissent au profit de leur église ou sont manipulés aux élections. Trois jeunes Ghanéens racontent leur rapport à la religion et leurs réflexions.
Benjamin
Enfin dimanche. Le soleil matinal est déjà brûlant; l’air, pesant. Dans les rues de terre de Teshie, dans la capitale ghanéenne, la musique résonne à chaque coin de rue, ou presque. Évangélistes, charismatiques, méthodistes, anglicanes: les différentes églises du quartier rivalisent sur le plan musical pour attirer des fidèles, habillés de blanc ou de leurs plus beaux atours pour l’occasion. Les églises sont d’ailleurs les seuls édifices de plus d’un étage dans le quartier; certaines sont imposantes, d’autres sont de simples locaux, comme ici, à l’église International Graceland Chapel.
Au plafond, les ventilateurs vrombissent, faisant tourner l’air chaud autour des danseurs. Une dizaine de fidèles se dandinent au son d’une musique entraînante. Une femme s’avance, me fait signe de se joindre au groupe. Bientôt, les chanteurs s’assoient sur des chaises de plastique et le pasteur poursuit son enseignement, sous les échos musicaux de l’église voisine.
Benjamin Addy fait partie du petit groupe. Il est même assistant du pasteur. Il n’habite pas dans le quartier, mais se déplace trois fois par semaine pour des rencontres de prières, des répétitions de chorale, et surtout la messe du dimanche. Benjamin a baigné dans la religion toute sa vie. Son père, pasteur, lui a inculqué des préceptes de foi et l’a outillé pour comprendre la Bible.
Le jeune homme est arrivé dans la capitale à 19 ans. Venu étudier, il s’est plutôt retrouvé dans un atelier de mécanique pour survivre. La religion semble l’avoir aidé à garder espoir, mais peut-être aussi, à supporter l’inacceptable.
«Pendant trois ans, j’ai travaillé dans un atelier de réparation de voitures. La semaine, je dormais au garage. Il m’arrivait de m’endormir le ventre vide», raconte-t-il lorsque nous le rencontrons un peu plus tard. Il précise qu’il n’était pas payé pendant cette longue période de «formation». Après trois ans, son employeur a commencé à lui donner des pourboires. Avec cela, il a pu suivre une formation en mécanique automobile.
Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à endurer ces conditions, il hausse les épaules: il n’avait ni le choix, ni les sous pour entreprendre des études. Ce qu’il désire toujours faire, à l’âge de 28 ans.
«Dieu fait des miracles, j’ai toujours la foi et je crois. Je n’abandonne pas», dit-il. «Je crois qu’un jour, je vais trouver quelqu’un qui va m’aider à réorienter ma vie et trouver un emploi», continue le jeune homme, qui rêve d’étudier l’ingénierie à l’université et de partir travailler aux États-Unis ou en Allemagne.
«Hier, je jouais avec ma fille et en même temps je pensais: « Dieu, tu m’as donné une belle petite fille, si tu peux me donner un emploi pour que je puisse prendre soin d’elle », dit-il.
Mais le fervent chrétien ne perd pas espoir. Sa voix devient plus rythmée, passionnée. «Si l’on meurt aujourd’hui, ce qu’on fera sur cette Terre, on croit qu’il y a une autre vie après la mort. Jésus est mon sauveur. Si je meurs aujourd’hui, il y a une autre vie, dans le jardin de Dieu.»
Nana Yaa
Nana Yaa*, 22 ans, est née d’un père musulman et d’une mère catholique. À la maison, les cinq enfants avaient la liberté de choisir leur religion. Ses frères et sœurs accompagnaient leur mère à l’église, tandis qu’elle partait à la mosquée avec son père.
«Le vendredi, il y avait la prière. La fin de semaine, j’allais à une école [coranique] où j’étudiais l’arabe et j’apprenais à réciter le Coran», se souvient-elle.
À l’âge de 10 ou 11 ans, la curiosité la pousse à accompagner sa fratrie à la messe. Elle voit les gens danser, chanter, jouer de la musique. Elle est séduite. Plus question de continuer l’école coranique: l’église lui parait beaucoup plus amusante. Elle devient catholique.
Aujourd’hui, elle se dit heureuse de suivre Jésus. Elle met toutefois en garde contre la tendance de certains Ghanéens de croire un peu trop fortement aux guérisons miraculeuses. La jeune femme, contaminée au VIH à la naissance, vit normalement grâce aux antirétroviraux, des médicaments qui empêchent la multiplication et la transmission du virus.
«Je rencontre parfois des gens ayant le VIH qui disent que s’ils croient au Christ, ils seront [automatiquement] guéris et ne prendront pas leur médication. Plusieurs personnes prient et attendent que Dieu les guérisse. Parfois, même le pasteur est malade», raconte-t-elle. «Je crois fortement qu’un jour viendra où des médicaments pourront nous guérir, mais en attendant, nous devons regarder les mesures mises en place pour rester en santé. Je ne mélange jamais les Écritures avec la réalité.»
La jeune femme, étudiante à l’université, insiste sur l’importance de s’aider soi-même. Si elle a déjà prié pour avoir de bonnes notes, elle s’est aussi attelée à sa table d’études pour générer le changement attendu, illustre-t-elle. «Les miracles sont là, mais vous n’obtiendrez rien si vous ne faites rien», avise-t-elle.

Joana
Joana Taylor prend une gorgée de frappé à la mangue, grimace un peu: trop épais. Elle regarde autour d’elle avec intérêt. C’est la première fois qu’elle vient dans ce café, situé à deux rues de l’église où elle va depuis son enfance.
Joana, 20 ans, est étudiante en sciences politiques à l’université – un privilège dans ce pays où la majorité des familles ne parviennent pas à payer d’études postsecondaires. Pour gagner son argent de poche, elle fabrique et vend des bijoux à la mode africaine. Elle aimerait bien poursuivre ses études à l’étranger, afin de dénicher un bon emploi – au Ghana, mieux vaut avoir des contacts au sein du gouvernement pour avoir accès à un poste, explique-t-elle.
Comme tous les dimanches, elle est allée à la messe aujourd’hui dans une Église charismatique, la Lighthouse International Chapel, même si elle n’est pas dans son quartier.
«Tu grandis dans une famille chrétienne, tes parents t’enseignent des messages comme le fait que Jésus aime les enfants, et tu grandis en écoutant ce genre de choses, tu vas à l’école du dimanche, où tu apprends les écritures et Jésus, raconte-t-elle. Tes parents t’enseignent comment marcher, mais ensuite tu dois apprendre à marcher par toi-même», dit-elle, à propos de son assiduité à aller à l’église. Elle chante quelques paroles d’une belle voix chaude. Avant, elle faisait partie de la chorale de l’église, mais elle a délaissé cette implication en raison de ses études. Mais encore aujourd’hui, elle adore danser avec énergie lors des cultes et dit se sentir inspirée par les enseignements de l’Église. Quand nous lui décrivons les messes beaucoup plus sobres du Québec, elle s’étonne. «Wow! C’est comme si la religion était morte!», s’exclame-t-elle sans mâcher ses mots. Si elle déménage à l’étranger, elle se promet de trouver une nouvelle communauté charismatique.
Au cours de son parcours académique, elle a suivi des cours sur les religions. «D’un point de vue académique, je comprends maintenant pourquoi les gens célèbrent leur foi de cette façon, et comment l’origine de la foi charismatique s’insère dans l’histoire de l’Afrique, dit-elle. Cela m’a aidé à mieux comprendre ma propre foi.»
Mais les Églises ont aussi leur côté sombre au Ghana, dit-elle. Certains pasteurs très populaires affirment avoir le don de clairvoyance. Ce qui pose problème lorsqu’ils utilisent leur influence pour influencer le vote aux élections présidentielles.
«Certains vont faire de fausses prophéties pendant les campagnes électorales et affirmer que tel candidat va gagner [et qu’il faut voter pour lui]», dit-elle. «Certaines personnes sont illettrées. Si elles écoutent un tel message, comment vont-elles réagir? Ces prophètes vont influencer les gens à prendre certaines décisions « pour Dieu ».»
La collecte de la dîme est parfois critiquée pour l’enrichissement massif de certains pasteurs au détriment de leurs ouailles. Mais pour Joana, la dîme est importante. «Selon la Bible, il faut donner le dixième de son revenu mensuel à l’église», dit-elle. C’est grâce à la dîme que sa petite église, coincée dans un tout petit local, pourra éventuellement déménager dans un plus grand bâtiment et réunir la centaine de fidèle lors du même service.
Joana se lève, prend quelques photos. La musique charismatique semble encore résonner dans toutes les fibres de son corps. La foi, il faut la célébrer, dit-elle.
*Ce nom a été modifié à la demande de la jeune femme en raison de la discrimination associée à son statut séropositif.