L’ampleur des changements dus à la diminution des ressources humaines et financières au sein de l’Église catholique et de ses institutions conduit à interroger l’état des lieux de la pastorale sociale au Québec. Afin de brosser un portrait de la situation, Présence propose un dossier alimenté par des rencontres avec des intervenants de différents milieux. Dans ce troisième texte, Yves Casgrain donne la parole à des responsables de la pastorale sociale en milieu paroissial. Soyez à l’affût d’un nouvel article du dossier chaque lundi.
La fonction d’agent de pastorale sociale a été créée au Québec dans la foulée du concile Vatican II. Afin d’être en phase avec lui, en 1973, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec a demandé aux diocèses de se doter de répondants en pastorale sociale. Cinq décennies plus tard, les agents et agentes de pastorale sociale sont toujours à leur poste et doivent faire face aux vents contraires. Comment vivent-ils leur mission au sein d’une Église en crise?
Les agents de pastorale sociale en paroisse, véritables observateurs et acteurs de l’actualité ecclésiale et sociale, possèdent un rôle très précis au sein de l’Église. Selon Hélène Prévost, agente de pastorale sociale pour les paroisses de l’ouest de Laval, ils sont appelés à sensibiliser, à collaborer et à participer à la lutte contre la pauvreté et d’autres formes d’exclusion sociale.
« La pastorale sociale, écrit Hélène Prévost dans un document publié sur le site de la paroisse Saint-Martin, c’est l’engagement chrétien qui cherche à instaurer plus de justice et d’équité pour favoriser l’intégration sociale des personnes vulnérables et faciliter leur participation citoyenne. La pastorale sociale, c’est aussi accepter l’invitation de Jésus-Christ à prendre part à sa mission. »
Pour Ingrid Le Fort, responsable diocésaine de la pastorale sociale à Saint-Hyacinthe, la pastorale sociale en paroisse se joue à trois niveaux. Le niveau local concerne toutes les actions ayant pour but de soulager la misère de ceux et celles qui vivent dans l’espace géographique de la paroisse ou du regroupement de paroisses, voire de la ville. Le niveau international appelle les agents de pastorale à se tourner vers l’étranger avec l’aide d’organismes catholiques tels Développement et Paix ou des initiatives missionnaires. Enfin, le réseautage permet d’intervenir à un niveau communautaire, en créant des partenariats avec des organismes civils, des représentants politiques, des écoles, etc. Afin d’entretenir ces liens avec les forces vives de la région, les agents de pastorale sociale en paroisse siègent à des tables de concertation régionale.
Manque de ressources
Toutes ces tâches, les agents de pastorale sociale paroissiale doivent les réaliser alors que leur nombre est de plus en plus petit et que les finances de plusieurs diocèses sont en difficulté. Simon Labrecque, adjoint au secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, a demandé aux diocèses de lui préciser le nombre d’agents de pastorale sociale en paroisse. Sur 18 diocèses, seulement 6 ont répondu à sa requête. Selon les statistiques qu’il a obtenues, trois diocèses ne possèdent aucun agent de pastorale sociale en paroisse, un diocèse en a un à temps plein, deux autres ont déclaré en avoir 5, mais pas tous à temps plein.
« Aujourd’hui, avec le peu de ressources humaines qu’il y a, c’est plus difficile », lance Carole Boily, agente de pastorale en solidarité sociale dans la paroisse Saint-Dominique au Saguenay. Pour l’aider dans sa tâche, elle peut compter sur des bénévoles. « Il y a beaucoup de bénévoles qui sont impliqués. Mais nos bénévoles sont âgés. Tenter de rejoindre les personnes entre 40 et 50 ans est plus difficile. Les jeunes retraités s’impliquent ailleurs. »
Dans l’archidiocèse de Montréal, les agents de pastorale sociale en paroisse sont parfois aidés par un « comité porteur » composé de laïcs et de personnes consacrées. « Le responsable du comité porteur est l’interlocuteur privilégié de l’agent de pastorale sociale. Le comité porteur a la responsabilité d’approuver le plan d’action, d’embaucher un agent, ou de le mettre à pied. Il accompagne l’agent de pastorale sociale dans son travail. Il y a des comités porteurs à Montréal depuis le début des années 1990. Aujourd’hui, nous en avons six », explique Louise Royer, responsable de la pastorale sociale pour l’archidiocèse.
En plus du manque de personnel, les agents de pastorale sociale en paroisse cumulent souvent d’autres responsabilités au sein de leur paroisse ou de l’unité pastorale paroissiale. C’est le cas de Martin Fontaine, agent de pastorale sociale dans la paroisse Saint-Esprit de Rosemont à Montréal. « J’étais engagé à temps plein jusqu’en 2016. Maintenant, je suis agent de pastorale à mi-temps [i.e. action pastorale, liturgique…] et agent de pastorale sociale trois jours par semaine. C’est difficile, dans ce contexte, de partir un projet à partir de rien. »
Initiatives sur le terrain
Pourtant, ce ne sont pas les initiatives qui manquent. Carole Boily parle avec enthousiasme du Bistro du cœur qu’elle et des bénévoles ont ouvert dans un local de l’église Saint-Mathias. « Les personnes seules ou en souffrance viennent ici pour manger et échanger. Il est ouvert depuis janvier 2024, quatre jours par semaine. Nous sommes en lien avec l’organisme Moisson Saguenay. »
Martin Fontaine et une équipe de bénévoles vont distribuer des sandwichs en collaboration avec l’organisme Bouffe Action Rosemont. « Il y a le Frigo Partage. Je m’occupe de son bon fonctionnement au quotidien. Le Frigo est une initiative réalisée avec l’aide de la Ville de Montréal et de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Des petits commerces viennent porter leurs invendus dans le Frigo: des soupes, des pains, des desserts. »
Robert Perreault, agent de pastorale sociale paroissiale dans le diocèse de Saint-Hyacinthe, souligne la mise sur pied de la Maison des jeunes. « Lorsque j’étais au Service de Préparation à la Vie (SPV) les jeunes qui le fréquentaient en avaient exprimé le désir ». La Maison des jeunes, organisation indépendante, reçoit des subventions gouvernementales et municipales.
Former les bénévoles
Carole Boily, Martin Fontaine et Robert Perreault reconnaissent l’énorme apport des bénévoles, surtout ceux qui sont attitrés à des dossiers spécifiques. Cependant, ils soulignent aussi leur manque de connaissance de l’enseignement social de l’Église. Devant ce phénomène, Robert Perreault a décidé de créer des groupes de formation sur Zoom.
Certains diocèses multiplient les initiatives pour former les bénévoles, souvent des personnes plus âgées, comme c’est le cas dans le diocèse de Chicoutimi. « Le diocèse a essayé de leur faire suivre des cours de théologie le soir. Plusieurs bénévoles sont âgés entre 65 et 70 ans. C’est lourd pour eux. » Une autre avenue a donc été privilégiée. Des rencontres sont organisées sur Zoom ou en présentiel. Ainsi ils peuvent suivre des formations conçues par des théologiens. « Les bénévoles en ont besoin. Il faut qu’ils soient nourris », avance Carole Boily.
Martin Fontaine constate pour sa part que l’intégration des connaissances varie selon les personnes. « On voit que c’est difficile de faire le lien entre la pratique et l’histoire religieuses, la Bible et la dimension prophétique de la pastorale sociale. Mais l’Esprit Saint passe quand même. Il y a des paroissiens qui portent la pastorale sociale sans posséder l’enseignement social de l’Église. »
Cette ignorance concernant l’enseignement social de l’Église est parfois due aux pasteurs qui privilégient la pastorale liturgique. Robert Perreault a même connu un curé qui affirmait qu’il n’avait pas besoin de la pastorale sociale. D’autres, sans être réfractaires à l’enseignement social, se consacrent davantage à la liturgie ou à l’évangélisation.
Soutenir l’engagement
Martin Fontaine croit également que si certains paroissiens hésitent avant de s’engager socialement c’est que « traditionnellement on associe l’entraide avec la gauche et la religion avec la droite. Le pape François porte la foi et l’entraide, le partage, l’écologie, le respect des femmes. Comme lui, il faut faire éclater cette séparation-là ».
Pour sa part, Robert Perreault croit que le lien entre foi et engagement est fragile parce que « l’aspect de la solidarité n’est pas là naturellement. Au fond, la société est très individualiste et cela se reflète aussi dans l’Église ».
Toutefois, les trois agents de pastorale sociale interviewés par Présence se disent appuyés par leur curé et leur évêque, qui reconnaissent l’importance de la dimension prophétique de l’enseignement social de l’Église
« Mon évêque, c’est René Guay. Il est pour la pastorale sociale à fond, full pin! Il suit l’enseignement du pape François », lance Carole Boily.
Martin Fontaine évoque l’appui de Mgr Alain Faubert, durant ses années comme évêque auxiliaire à Montréal. « Il s’impliquait. Et Mgr Lépine ne nous a jamais lâchés. »
Robert Perreault souligne aussi qu’il se sent appuyé par son diocèse. Ce qui ne l’empêche pas de décocher quelques flèches au passage. « Par contre, lorsqu’il y a des coupes budgétaires à réaliser dans le diocèse, c’est dans la pastorale sociale que l’on coupe en premier », lance-t-il.
Cet appui institutionnel est essentiel lorsque vient le temps de nouer des liens avec des organismes communautaires et des tables de concertation du milieu civil qui sont loin de l’Église. « Quand j’arrive dans ces organismes au nom de l’Église, certains ne se gênent pas pour manifester leur non-croyance. Mais, ils écoutent mon point de vue. Parfois, ils lâchent un sacre ou deux. Oui, il y a une mouvance anticléricale, mais dans mon milieu elle ne se manifeste pas », témoigne Martin Fontaine.
« J’ai pris la relève d’une autre agente de pastorale sociale. Il y a toujours eu une pastorale sociale ici. Cela facilite les choses. Je me présente à eux et j’explique ce que je fais. Ils ne comprennent pas ce que je réalise dans l’Église. Quand je vais quelque part, c’est Carole qu’ils accueillent; c’est ma personne, pas l’agente de pastorale. »
En somme, le lien entre l’Église et les groupes communautaires est toujours présent mais fragile. D’après Robert Perreault, « l’Église prend moins sa place » dans les dossiers que pilotent ces organisations communautaires. « Quand on perd une entrée, il est difficile de la regagner par la suite. »
Malgré ce vent de face, à certains égards, tant dans l’Église que dans la société, nos trois agents de pastorale demeurent optimistes. « Ce qui me fait tenir, c’est l’espérance d’une nouvelle pousse qui va faire Église autrement. Je crois en l’être humain. Si demain je ne suis plus agente de pastorale, cela ne me troublerait pas outre mesure. Je ne le suis pas devenue pour le salaire. C’est une histoire intérieure. Moi, je reste, travail ou non, paye ou non. La foi va toujours être là », témoigne Carole Boily.
Martin Fontaine remarque que « l’Église va en s’appauvrissant. Mais c’est la crucifixion qui nous mène à la résurrection ». L’Église doit redevenir au service de tous, selon lui. « L’Esprit Saint va agir. Il agit déjà! »