Six Inuits du Nunavut se rendront en France du 12 au 15 septembre afin de demander aux autorités politiques et judiciaires françaises l’extradition, au Canada, du père Joannès Rivoire.
Ce missionnaire oblat a été responsable de trois paroisses dans le diocèse de Churchill–Baie-d’Hudson entre 1960 et 1992. Accusé d’agressions sexuelles sur des enfants inuits en 1998, en 2017 puis en 2021, l’oblat s’est réfugié en France depuis le début des années 1990. Il habite actuellement à Lyon, dans une résidence pour personnes âgées.
«Au cours de 22 des 26 dernières années, Joannès Rivoire a été un fugitif recherché au Canada. Pendant cette période, il a été sous la garde et la protection des Oblats en France afin d’éviter toute publicité négative et de protéger la réputation des catholiques», déplore Aluki Kotierk, la présidente de Nunavut Tunngavik, un organisme de représentation des Inuits du Nunavut.
«L’Église catholique et ses prêtres ne sont pas au-dessus de la loi», dit encore celle qui dirigera la délégation inuite à Paris et à Lyon la semaine prochaine.
En conférence de presse, la leader inuite a expliqué ne pas encore avoir reçu l’assurance d’une rencontre formelle entre le président français Emmanuel Macron, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti et les membres de la délégation. «Il reste encore quelques jours avant notre départ pour la France», dit-elle, confiante. Des rendez-vous sont toutefois déjà prévus avec la religieuse Véronique Margron, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses en France (CORREF), et le père Vincent Gruber, le provincial des Oblats de Marie-Immaculée.
«Les victimes de Joannès Rivoire ne seront pas en mesure de pleinement guérir tant qu’il demeurera en liberté», estime Aluki Kotierk qui se dit choquée de constater que les Oblats de Marie-Immaculée de France le protègent et paient d’importants frais d’avocats pour qu’il puisse se soustraire à la justice canadienne.
Au nom de mon père
Membre de la délégation qui se rendra à Paris puis à Lyon, Tanya Tungilik a rencontré le pape François lors de son passage à Iqaluit le 29 juillet 2022. Elle a raconté au pape les agressions que son père Marius Tungilik, décédé en 2012, a subies aux mains des oblats Lucien Parent et Joannès Rivoire. Marius Tungilik fut le premier Inuit à avoir alerté les autorités religieuses, politiques et judiciaires de l’actuel Nunavut sur les sévices endurés par les enfants dans les pensionnats dirigés par des congrégations religieuses.
«Si je me rends en France, c’est pour que Rivoire soit extradé. Au nom de mon père, je veux qu’il fasse face à la justice au Canada», a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse tenue ce mercredi.
Elle rappelle que son père, dès 2011, avait mentionné vouloir se rendre en France afin de confronter l’oblat. «Mon père est mort avant d’avoir eu cette chance, avant d’obtenir justice», dit-elle, en sanglots. «Mon frère [Jesse Tungilik] et moi allons continuer ce qu’il a commencé.»
«Ce prédateur sexuel a échappé à la justice depuis trop longtemps», ajoute-t-elle. «J’ai bien l’intention d’aller le rencontrer à Lyon et lui rappeler ce qu’il a fait à mon père et à notre famille. Je veux qu’il sache que mon père est mort en raison des traumatismes qu’il a subis.»
S’il refuse de rencontrer la délégation, «nous allons manifester à l’extérieur de sa résidence», promet-elle, convaincue que les citoyens de Lyon vont soutenir l’extradition de l’oblat vers le Canada.
Réactions
Mercredi après-midi, les Oblats de Marie-Immaculée n’avaient pas encore réagi à l’envoi de cette délégation inuite en France. Mais la veille de l’arrivée du pape François à Iqaluit, les provinces oblates de Lacombe (Ouest canadien) et de Notre-Dame du Cap (Québec) ont affirmé n’avoir «cessé de demander que Joannès Rivoire soit confronté à ses accusateurs».
Les Oblats canadiens ont même contacté le ministre de la Justice et procureur général, David Lametti, dès le 22 mars, pour «lui faire part de leur volonté à coopérer dans le cadre d’une enquête légale».
«Nous continuons à plaider auprès de nos pairs et de nos supérieurs dans l’Église pour que les dirigeants en France et au Vatican comprennent l’impact que Rivoire continue d’avoir sur les peuples inuits du Canada», assurent les deux provinces oblates canadiennes.
En juillet, toujours la veille de l’arrivée du pape François au Nunavut, le gouvernement du Canada a confirmé qu’une demande d’extradition avait bien été déposée contre Joannès Rivoire.
Cette demande officielle a été faite au gouvernement français «par le service des poursuites pénales du Canada par l’entremise des fonctionnaires du ministère de la Justice», a indiqué à Présence le porte-parole du ministère de la Justice, Ian McLeod. Habituellement, «les demandes d’extraditions entre les États sont confidentielles et le Canada ne commente pas ces demandes».