L’ampleur des changements dus à la diminution des ressources humaines et financières au sein de l’Église catholique et de ses institutions conduit à interroger l’état des lieux de la pastorale sociale au Québec. Afin de brosser un portrait de la situation, Présence propose un dossier alimenté par des rencontres avec des intervenants de différents milieux. Dans ce neuvième texte, Hugo Saez s’intéresse aux réflexions d’une congrégation religieuse qui cherche à conscientiser ses membres au colonialisme présent dans le christianisme et à intégrer une vision de décolonisation dans ses activités missionnaires et ses initiatives de justice sociale.
Près de 200 sœurs de la Congrégation de Notre-Dame se sont réunies en août 2024 à l’occasion d’un premier Forum portant sur la question de la décolonisation. Tour d’horizon des propos marquants de cet événement et décryptage des retombées que ce dernier pourrait présenter sur la vision décoloniale de la Congrégation de Notre-Dame (CND) et, plus largement, de l’Église catholique.
Dès l’entrée dans la salle où se tenait le Forum, à Montréal, le ton était donné. « Sur chaque table, il y avait un globe terrestre posé à l’envers. En arrivant, quelqu’un de l’équipe m’a dit que c’était voulu. Cela signifie que l’on a l’habitude d’avoir un regard sur les choses, mais notre manière de voir peut changer. À la CND, on a tendance à privilégier notre vision nord-américaine par rapport à nos sœurs qui viennent d’Amérique du Sud, mais il ne faut pas penser que notre manière de voir le monde est la meilleure. On peut arriver à un point de vue commun, c’est une façon de construire notre vivre-ensemble. Nous avons toutes notre juste part dans la réflexion par rapport à la décolonisation », affirme sœur Violaine Paradis.
« L’affaire de tous »
Au regard des différents objectifs de ce Forum et des enjeux reliés à la décolonisation, une notion s’apparente à un pilier capital : le dialogue. « Nous avions besoin de se parler juste et vrai avec nos collègues qui viennent d’ailleurs, et avec des mots qui rendent possible la rencontre véritable. L’action du dialogue, ce n’est pas simplement des mots : c’est aussi ce qui doit contribuer à bâtir un monde différent, plus inclusif et plus solidaire », expose sœur Yvonne Bergeron. « Lorsque l’on dit que l’on part en mission, ça peut avoir une connotation de domination. Il faut que l’on fasse attention à l’imagerie dans nos communications », met en garde quant à elle sœur Lorraine Caza.

Par ailleurs, les consacrées interrogées sont unanimes sur le fait que la religion occupe une place majeure dans la quête de la décolonisation. « Ce processus s’inscrit au cœur de la spiritualité et de la foi. Il renvoie à la manière de vivre qui est inspirée par l’évangile. La question de la décolonisation touche le vivre-ensemble et je suis très heureuse que les mots justice, égalité et liberté soient souvent revenus dans les échanges lors du Forum », se réjouit Yvonne Bergeron, aussi membre de Développement et Paix. « La spiritualité, c’est un regard ouvert et il faut voir l’importance que nous sommes tous frères et sœurs. Il n’y a pas de logique de domination », renchérit Violaine Paradis en faisant référence au concept de l’être universel.
Un processus
Même si différentes initiatives proactives avaient déjà été lancées par le passé (mentionnons le guide de dialogue À l’écoute des voix autochtones, préparé par le Jesuit Forum for Social Faith and Justice, adapté en français par le Centre justice et foi), ce Forum s’inscrit dans un processus au long cours. « Ça va prendre du temps, parce que nous vivons dans une société où il y a encore plusieurs situations de discriminations racistes », témoigne Jessica Ramos, coordinatrice JPIC (Justice, Paix, Intégrité de la Création) pour la Congrégation de Notre-Dame.
Pour l’ensemble des participantes comme pour Violaine Paradis, ce Forum a été une piqûre de rappel qui encourage à adapter son comportement au quotidien. « Depuis le Forum, je suis encore plus attentive à ma manière d’interagir avec l’autre. Je fais attention à ne pas imposer ma manière de voir la vie ni ma façon de faire, parce que ce serait contreproductif et ça irait à l’encontre de la communion de notre communauté. Et au-delà de notre communauté, ça concerne toute notre société », manifeste cette dernière en précisant, par exemple, qu’elle tient à ce que la sœur d’origine camerounaise qu’elle côtoie participe autant que tout le monde à la vie communautaire.
Cap sur l’avenir
De son côté, sœur Lorraine Caza espère que ce Forum encouragera l’Église catholique à continuer sur cette dynamique de dialogue vis-à-vis des questions en lien avec la décolonisation. « Nous sommes très conscientes qu’il y a à travailler l’intergénérationnel et l’interculturalité au sein de la Congrégation de Notre-Dame. Mais par rapport à notre événement, il serait utile qu’une démarche semblable soit faite dans beaucoup de paroisses et d’institutions religieuses », met-elle en avant.
Pour le futur, sœur Yvonne Bergeron a pointé du doigt cinq repères à ne pas perdre de vue afin de poursuivre la réflexion entamée. « Le premier, c’est que la communauté se situe face aux mouvements sociaux et aux enjeux actuels. Le second, c’est de faire la distinction entre les comportements que nous vivons et les systèmes dans lesquels nous sommes ancrés sans nous en rendre compte. Le troisième, c’est nous rappeler que nous ne serons pas libres aussi longtemps qu’il y aura des humains qui ne le seront pas : il faut donner une place à tout le monde et parler d’une égalité quotidienne. Quatrièmement, c’est maintenir ce dialogue interculturel et intergénérationnel. Enfin, il faut soutenir les communautés locales qui travaillent à démanteler les structures oppressives et qui sont dans l’élan de construire des structures humanisantes et inclusives », détaille celle qui certifie que « nous n’avons plus le droit d’exclure ni d’ignorer cette prise de conscience nécessaire ».