Yann Raison du Cleuziou et E.-Martin Meunier s’intéressent à la situation actuelle du catholicisme et à sa transition de majoritaire à minoritaire au sein des sociétés française et québécoise. Les 22 et 29 mai, s’est tenu un atelier intitulé Penser la transition minoritaire du catholicisme contemporain dans l’espace francophone. Mieux comprendre le processus de minoration du catholicisme et ses enjeux culturels, sociaux et politiques. Comparaison entre la France et le Québec. Coup d’œil sur l’état des lieux.
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Depuis le concile Vatican II, les milieux de recherche en sciences sociales s’affairaient à décrire le déclin du catholicisme en France et au Québec. Les faits sont qu’il demeure de 5 à 15% des baptisés qui assistent aux messes et que les communautés religieuses et les diocèses ont entrepris un processus de gestion de la décroissance et de liquidation des actifs immobiliers.
«C’est la mort d’un catholicisme majoritaire, peut-être, mais sous les cendres il reste encore d’autres tisons et il faudrait regarder de plus près ce catholicisme qui se recompose et qui se maintient», lance E.-Martin Meunier, professeur à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa, titulaire de la Chaire Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles.
«Les sociologues du catholicisme ont beaucoup parlé de ce qui se défaisait, mais dans ce catholicisme minoritaire, il y a de la vitalité», assure Yann Raison du Cleuziou, professeur en science politique à l’Institut de recherche Montesquieu de l’Université de Bordeaux.
«S’intéresser au catholicisme minoritaire, c’est s’intéresser à l’expérience catholique aujourd’hui», observe-t-il.
La minoration : une transition plutôt qu’une mort annoncée
Le catholicisme a longtemps occupé la grande part de l’espace religieux en France et au Québec. Cette place prépondérante lui procurait une influence indéniable sur la culture et la politique. On observe désormais une diminution de cette influence sociale, ainsi que la perte de son rang de religion majoritaire. Mais que se produit-il lorsqu’une religion aussi structurante que l’était le catholicisme devient minoritaire? Disparaît-elle? Se sécularise-t-elle? Change-t-elle de configuration interne, voire de fonction sociale et politique à l’intérieur d’un pays donné?
Ainsi, le catholicisme se recompose mais à une échelle nouvelle. La comparaison entre le Québec et la France prend alors toute sa pertinence puisque ce sont deux sociétés au sein desquelles le catholicisme a déjà été la religion majoritaire.
«Au Québec, on est passé d’une religion où les gens disaient appartenir au catholicisme à la hauteur de 70 à 80%, maintenant c’est autour de 55% et peu à peu on se dirige vers un moment minoritaire», constate Martin Meunier.
Il est certes prématuré de formuler des conclusions définitives sur ce qu’il adviendra, explique-t-il. La configuration de l’Église qui vient, on ne la connaît pas encore. Ce qui se dessine, c’est une configuration plus affirmée, plus décomplexée.
«Elle ne va pas parler pour tous les Québécois, mais pour les catholiques. Elle va avoir une nouvelle place dans le champ politique et social. Il s’agit d’une position que le catholicisme occupe déjà en France, moins au Québec», note-t-il.
Une potentialité difficile à mesurer mais qui prend forme
«Un catholicisme qui se recompose à une échelle réduite, dans un contexte d’ultra sécularité est un catholicisme qui n’aura quasiment plus rien à voir avec ce qu’il était auparavant», poursuit le professeur Raison du Cleuziou
À l’heure actuelle, il est déjà possible de noter certaines tendances qui s’observent dans le cas français et qui semblent à première vue paradoxales.
«Un catholicisme majoritaire dominant est un catholicisme qui est omniprésent, qui s’appuie sur la culture commune, à travers tout le monde et c’est un catholicisme qui n’apparaît pas comme une chose distincte de la pensée commune», explique le chercheur français.
Ainsi, le catholicisme, à mesure qu’il se détache de la culture majoritaire, devient plus clivant et se rend autrement visible. Il ne disparaît donc pas de l’espace publique en devenant minoritaire.
Les signes du catholicisme prennent alors une valeur nouvelle. S’il devient étranger et plus repoussant pour le corps social dominant, il est plus mobilisateur pour ceux qui y demeurent parce qu’il repose sur un système de valeurs distinct. Il se dote d’une posture contre-culturelle à l’égard des valeurs dominantes et affiche une résistance au changement social où la polarisation entre ceux qui en font partie et ceux du dehors est plus visible.
«Paradoxalement, un groupe en devenant minoritaire peut retrouver une capacité d’influence qu’il n’avait pas en étant majoritaire parce qu’il était lié à l’évolution des valeurs majoritaires», observe le professeur Raison du Cleuziou.
En d’autres mots, formule le chercheur, lorsque la société se pluralise, le catholicisme majoritaire évolue dans le même sens et devient en quelque sorte neutralisé par ce pluralisme interne. La transition minoritaire conduit à une réduction de ce pluralisme interne et mène les catholiques à constituer un noyau dur plus intense, à développer un fort sentiment d’appartenance et à se mobiliser davantage.
Mutation et persistance des lieux et structures des pratiques religieuses
Le catholicisme majoritaire est structuré en diocèses qui sont d’abord des entités administratives territoriales et qui en contexte minoritaire perdent une grande partie de leur pertinence.
Ainsi, observe Yann Raison du Cleuziou, on assiste à l’émergence de nouvelles structures communautaires, d’organisations et de mouvements laïques qui évoluent dans l’ombre de l’institution diocésaine et qui sont parfois difficiles à distinguer.
Martin Meunier constate que les baptisés catholiques qui assistent aux services religieux et qui participent à la vie de l’Église n’y vont plus par obligation, mais par choix. Les statistiques tendent à montrer qu’il demeure environ 5% d’assistance aux services religieux hebdomadaires, un nombre qui peut monter jusqu’à 12 à 15% mensuellement.
Un autre facteur qui reconfigure le catholicisme en France et au Québec est l’apport de l’immigration. C’est à un point tel que certains chercheurs vont jusqu’à parler de relance et de «nouveau catholicisme».
«28% des immigrants qui entrent au Canada choisissent le catholicisme, souligne Martin Meunier. C’est beaucoup et ça veut dire que malgré la sécularisation et les gens qui sortent, il y a un apport. On sait aussi que les gens issus de l’immigration pratiquent deux fois plus en moyenne qu’un Québécois né au Canada.»
«Sécularisation ou non, il va falloir se faire à l’idée que le catholicisme va durer, mais ce sera différent, plus jamais comme avant avec des potentialités différenciées, entre un majoritaire et un minoritaire, conclut le professeur Meunier. Et c’est tout un chantier de recherche!»