Pour le gouvernement du Québec, le fait «de forcer une maison de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir», alors qu’elle est appuyée financièrement par l’archidiocèse de Montréal, nuit-il «de manière significative à l’exercice du droit à la liberté de religion et de conscience» des dirigeants de l’archidiocèse?
Voilà l’une des questions qu’a dû trancher la juge Catherine Piché de la Cour supérieure du Québec dans un jugement qu’elle a rendu le 1er mars 2024.
Trois semaines plus tôt, l’archevêque Christian Lépine s’était adressé aux tribunaux afin que la Maison St-Raphaël, une maison de soins palliatifs créée à l’intérieur même d’une église catholique fermée au culte, soit exemptée d’offrir l’aide médicale à mourir dans ses murs.
La raison est bien simple, expliquait-il. L’archevêque a accepté de céder l’usage de cette église moyennant «une rente annuelle symbolique d’un dollar» et à la «condition expresse» qu’on n’y offre pas l’aide médicale à mourir. Mgr Christian Lépine n’accepte pas que dans un bâtiment qui appartient toujours à l’archevêché, on puisse offrir ce soin de fin de vie.
Jugement
Le vendredi 1er mars, la juge Piché a rejeté cette exemption ainsi que le sursis demandé avant qu’un jugement de fond sur cette affaire ne soit rendu.
Dans un jugement de 31 pages, elle indique que le «dilemme moral insoluble» auquel est confronté l’archevêque de Montréal et qui est bien réel, souligne-t-elle, apparaît «de moindre importance face à l’intérêt public de choisir son soin et son traitement médical».
«Soyons clairs, écrit la juge, les membres appartenant au groupe religieux qui sont confrontés au «dilemme moral» invoqué» sont essentiellement l’archevêque Lépine, les donateurs, les bénévoles et les anciens paroissiens qui soutiennent la Maison St-Raphaël. «Il ne s’agit pas de l’ensemble des Québécois de religion ou de croyance catholique.»
Par ailleurs, le fait que la Maison St-Raphaël soit la seule maison de soins palliatifs au Québec à bénéficier d’une exemption temporaire afin de se soustraire à la nouvelle version de Loi concernant les soins de fin de vie n’apparaît pas acceptable à la juge de la Cour supérieure.
Une telle exemption pourrait même «causer un impact nuisible sur le public», écrit-elle. Les pensionnaires de la Maison St-Raphaël qui veulent obtenir ce soin devraient alors «être transférées en centre hospitalier». Ce transfert, juge-t-elle, «pourrait avoir des conséquences néfastes».
Pour la juge Piché, «lorsqu’il s’agit de choisir un soin médical et d’obtenir l’accès à l’aide médicale à mourir, l’intérêt public est fondamental».
«Malgré l’intérêt significatif des demandeurs (l’archidiocèse de Montréal et son archevêque) à protéger leurs croyances religieuses, cet intérêt à moins de poids devant le droit pour les Québécois d’accéder au soin de leur choix, y inclus à l’aide médicale à mourir, à la Maison St-Raphaël.»
L’archevêque prend acte
L’archevêque Christian Lépine déclare qu’il «prend acte du jugement rejetant la demande de sursis ou d’exemption temporaire qui visait à éviter que la Maison de soins palliatifs St-Raphaël soit contrainte d’administrer, en attendant un procès au fond, ce que la loi qualifie d’aide médicale à mourir».
Si l’exemption avait été acceptée, la Maison St-Raphaël «aurait ainsi pu se consacrer entièrement à sa mission originelle, soit d’offrir des soins palliatifs gratuits et de qualité, en soulageant la douleur et en accompagnant les gens en fin de vie, ainsi que leurs proches» et cela, «sans retarder ni hâter la mort».
Mgr Lépine entend examiner avec ses procureurs «toutes les options pour la suite des choses».
«Dans tous les cas, a-t-il déclaré à l’agence de presse Présence, «cette demande n’était qu’une première étape dans le cadre des procédures visant à faire invalider, notamment sur la base du droit à la liberté de religion et de conscience protégée par les Chartes canadienne et québécoise, l’obligation imposée à toutes les maisons de soins palliatifs, sans exception, d’offrir l’aide médicale à mourir».