La suspension temporaire des activités du Centre justice est foi (CJF) et la mise à pied de son personnel sont des «décisions insensées» aux yeux d’Élisabeth Garant, une ex-directrice générale du Centre.
Celle qui y a travaillé durant 27 ans, dont 15 ans à sa direction, ne décolère pas depuis qu’elle a appris la nouvelle plus tôt cette semaine.
Élisabeth Garant estime même «peu probable que le CJF puisse vraiment se remettre un jour d’une suspension d’activités faite sans aucune consultation des partenaires et des bailleurs de fonds, sans respect de l’éthique professionnelle du personnel et en contradiction flagrante avec les valeurs fondamentales de cette œuvre d’analyse sociale.»
Jusqu’à hier, jeudi, elle dit avoir espéré que le conseil d’administration «renonce ou module autrement le plan de mise à pied annoncé». En vain, déplore-t-elle.
«Malheureusement, ni le bon sens, ni les arguments pourtant remplis d’un sens aigu de la responsabilité, ni le souci d’agir pour éviter d’entacher la réputation du CJF et celle des jésuites, ni le rappel des principes de justice de base n’ont eu raison de l’intransigeance des représentants du conseil d’administration» qui ont rencontré mardi le personnel du CJF, de son secteur Vivre ensemble (enjeux d’immigration et de pluralisme) et de la revue Relations.
Dix employés sur les douze que compte le CJF ont été mis à pied temporairement. «On souhaite que la durée de la suspension et des mises à pied soit la plus courte possible», a indiqué à Présence le jésuite Peter Bisson, le vice-président du conseil d’administration. «Avant la fin de l’été», ajoute-t-il.
Mises à pied
«Le plus incompréhensible, c’est qu’on a donné 48 heures de préavis aux employés pour fermer leurs courriels et ramasser leurs affaires personnelles. En leur disant qu’on espère les réembaucher.»
Malgré le choc, le personnel s’est porté volontaire pour compléter les tâches en cours, comme la tenue d’une conférence publique en avril ou la planification du prochain numéro d’été de Relations. «Le conseil d’administration a refusé et a maintenu sa décision», a-t-elle appris.
Elle rappelle que certains employés du CJF, ses ex-collègues, y travaillent depuis 18 ans ou même 25 ans. Malgré leur ancienneté, ils n’obtiennent aucun avantage, déplore-t-elle. «L’organisme utilise le prétexte de la suspension temporaire pour ne pas leur donner davantage.»
«C’est franchement indigne», lance-t-elle. «C’est inacceptable qu’un centre de justice sociale, qui a un parcours impeccable dans la constance de son engagement et qui a toujours allié l’action avec les valeurs qu’il porte, traite ainsi ses employés.»
Récemment, note-t-elle, «on s’est tous et toutes offusqués» de la mise à pied temporaire des employés des archidiocèses de Montréal et de Québec. Ces mises à pied sont rapidement devenues définitives. «Mais on ne pensait jamais que les jésuites agiraient de la même façon envers leur œuvre la plus importante au Québec.»
Relations
Dans un temps où tous les médias font déjà face à d’importants défis, la nouvelle de la suspension de la revue Relations lui paraît fort inquiétante. «En 83 ans, on n’a jamais connu un arrêt de la revue Relations.»
«C’est terrible que les jésuites n’aient pas eu le souci de garder une cohérence de leur engagement» envers cette publication née durant la Deuxième Guerre mondiale, en 1941.
«Ne sommes-nous pas dans une époque où la capacité de la revue de parler de sens, de transcendance et de justice dans un monde sécularisé est cruciale?», demande l’ex-directrice au provincial jésuite Erik Oland, dans une lettre qui lui a été remise ce matin et que Présence a pu consulter,
«Comment n’avez-vous pas eu envie de véritablement prendre soin de cet héritage de vos prédécesseurs, de cette contribution unique qui se fait au Québec, et, vous le savez comme moi, unique dans toute la Province [jésuite] et la Conférence jésuite à laquelle l’œuvre est rattachée?»
Selon Élisabeth Garant, «si le CJF et Relations cessent d’accomplir leur excellent travail», il n’y aura plus d’engagement des jésuites sur le plan social au Québec. «C’est de l’inconséquence», tranche-t-elle.
«Même si, dans quelques mois, vous dotez la coquille CJF d’une mission plus au goût de l’administration de la Province jésuite et du conseil d’administration, le mal est fait et votre crédibilité est entachée», écrit-elle au provincial Erik Oland.
«Il n’est peut-être pas trop tard pour revenir sur votre décision, mais il vous reste peu de temps pour le faire. Vous êtes le Visiteur de l’œuvre, [le répondant du CJF auprès de sa congrégation], donc vous avez tous les pouvoirs, dont celui d’annuler cette décision insensée.»
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