Décidé à resserrer les principes de la Loi sur la laïcité de l’État, le gouvernement de la CAQ envisage depuis la fin de l’été de restreindre la liberté de tenir des prières en public. Le 25 septembre, le Parti Québécois a annoncé vouloir interdire le voile dans les écoles primaires… si le parti est élu aux prochaines élections provinciales. Récemment, un sondage Léger publié par Le Journal de Montréal révélait que 54 % des Québécois soutiennent ce type de restrictions. Une tendance sociétale avec laquelle certains musulmans québécois sont en porte-à-faux.
Un processus d’intégration complexe
«J’ai grandi à Montréal, mais une partie de moi a l’impression de ne pas être d’ici», confie Moustafa, développeur de jeux vidéos. Il explique que, pour lui, être musulman au Québec se rapproche du sentiment d’être un étranger et de jongler avec plusieurs identités sans vraiment faire partie de la société majoritaire. Sa pratique religieuse a connu un renouveau après l’éclipse solaire en août 2024. Malgré sa position modérée en matière de foi, il a remarqué des frictions avec certaines de ses partenaires amoureuses, certaines allant jusqu’à une hostilité ouverte.
«Mon appartenance religieuse n’a jamais entravé mon processus d’intégration», explique pour sa part Jana, une étudiante. Elle souligne qu’elle parvient à s’engager pleinement dans la société, malgré les restrictions imposées par ses croyances, telles que l’interdiction de participer à certaines fêtes ou de serrer la main d’une personne du sexe opposé. «Le pouvoir de décider de sa propre participation, ou non, constitue l’un des plus précieux privilèges de la société québécoise», dit-elle.
Les signes religieux
Si le port du voile attire les regards, il fait aussi l’objet de vifs débats au sein de la communauté musulmane. Alex (pseudonyme), qui est administratrice dans une université, portait le voile jusqu’à l’âge adulte. Lorsqu’elle se retrouve dans un contexte familial, elle continue à le porter et à prier, mais autrement, elle n’en porte plus. Questionnée sur les regards extérieurs, elle confie : «Je n’avais pas remarqué [ce jugement] avant d’enlever le voile. C’est alors que j’ai soudain pris conscience de l’amélioration de mon traitement». Lorsqu’elles sont ensemble, sa mère «attire beaucoup plus de regards que moi». Et davantage «de regards inappropriés ou de commentaires».
Ces expériences sont communes. «Un jour, une dame m’a arrêtée dans un centre commercial pour s’assurer que je connaissais mes droits dans ce pays et que je pouvais obtenir de l’aide si l’on m’obligeait à porter un voile», raconte Mariam, une étudiante en sciences dans la région Estrie. «Je comprends qu’elle avait de bonnes intentions, c’était plutôt amusant, mais parfois, les gens peuvent être très critiques ou refuser de comprendre la situation.»
Moustafa ne suscite pas beaucoup de regards dans la rue, car il «a une apparence assez européenne», dit-il. Mais, lorsqu’il dit son nom à quelqu’un, l’inconnu commence à commenter son apparence, à noter ses traits physiques, puis «les questions commencent», surtout si la personne n’a pas d’expérience avec les musulmans.
«Cette idée de tenue religieuse comme le voile contredit beaucoup de principes de l’islam», explique Moustafa. «Nous ne sommes pas censés avoir de dénominateurs précis, mais ce sujet est tellement débattu dans la communauté que la décision devient extrêmement personnelle. […] Le choix de porter le voile, d’une certaine manière, blesse beaucoup de gens. Certains le font même pour des raisons politiques.»
La question de la prière
La question de la prière est apparue dans le débat public après la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des musulmans priant devant la basilique Notre-Dame de Montréal, dans le contexte de manifestations pro-palestiniennes. Le phénomène des prières en public ne se réduit toutefois pas à la communauté musulmane. La méditation et le yoga sont souvent organisés dans les parcs. Le groupe chrétien Revival Montréal organise également des services religieux et des prédications toutes les semaines, devant le magasin Hudson’s Bay de la rue Sainte-Catherine.
Selon les interprétations traditionnelles de l’islam, les croyants doivent effectuer cinq prières par jour. Lorsqu’ils font le choix d’une pratique religieuse intégrale, leurs obligations quotidiennes peuvent devenir exigeantes. «La prière pour les musulmans ne peut pas être facilement abandonnée lorsqu’ils sont à l’extérieur et reprise une fois qu’ils rentrent chez eux ou à la mosquée», affirme Mariam.
Pour accomplir ce rituel religieux qui dure environ cinq minutes, certains pratiquants cherchent donc un endroit tranquille pour prier et se retrouvent parfois dans des endroits insolites, tels qu’un escalier dans une école ou un coin de parc. Pour ceux-ci, se rendre dans une mosquée pour y prier n’est pas aussi simple qu’il y parait, car il n’y en a pas beaucoup dans la province, surtout en dehors de Montréal. «Je ne vais pas souvent à la mosquée, car il n’y en a que deux dans ma ville, et elles sont loin de chez moi», dit Mariam. «Je n’y vais que pour des événements particuliers. Je pense que c’est très commun pour les musulmans en dehors des grandes villes comme Montréal.» Pour cette pratiquante, une interdiction généralisée de la prière dans les lieux publics n’est pas la solution. «Je crois que, dès lors que la manière de prier n’entraine pas de préjudice pour l’environnement, ne gêne personne et ne perturbe pas la vie des autres, il ne devrait pas y avoir lieu pour le gouvernement de s’en mêler, et certainement pas en édictant des règles rigides.»








































