La ministre Nathalie Roy passe à l’action. Tel qu’annoncé la semaine dernière, la ministre de la Culture et des Communications vient de demander le classement non seulement des archives de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, mais aussi les livres rares et les biens mobiliers que les sulpiciens ont rassemblé depuis leur arrivée à Montréal en 1657.
Le gouvernement a confirmé le 25 août que la ministre Roy « a récemment signé un avis d’intention de classement afin de s’assurer qu’ils soient protégés », et ce en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
« Les prêtres de Saint-Sulpice ont constitué au fil des derniers siècles des collections d’une valeur inestimable qui nous permettent de remonter le cours de notre histoire afin de mieux comprendre qui nous sommes. Ces archives font partie de notre mémoire collective et elles méritent une place de choix dans notre patrimoine culturel », a déclaré la ministre Roy après avoir signé l’avis d’intention de classement.
Par cet avis qui sera transmis aux sulpiciens, la ministre entend « manifester la volonté de notre gouvernement de protéger ces racines dont nous sommes fiers et les fondations de notre identité québécoise ».
Considéré comme le plus important fonds privé permettant de comprendre l’histoire de Montréal, les archives de Saint-Sulpice sont constituées de documents, civils et religieux, qui couvrent la période allant de 1620 à 1976. Les sulpiciens ont été les propriétaires de la seigneurie de l’Île-de-Montréal dès 1663. Seigneurs de Montréal jusqu’en 1840, ils fondent alors le Grand Séminaire de Montréal à la demande de Mgr Ignace Bourget, le deuxième évêque du diocèse.
Quant à la collection de livres anciens, elle comprend notamment des livres en langues autochtones et des livres anciens comme les premiers imprimés européens et canadiens.
Enfin, explique le ministère de la Culture et des communications, les biens mobiliers des sulpiciens sont constitués de peintures, de sculptures, de dessins, d’estampes, de pièces d’orfèvrerie, de meubles et de vêtements sacerdotaux. « Cette collection constitue un témoin exceptionnel de l’histoire des beaux-arts et des arts décoratifs en Europe et au Québec », précise-t-on.
Dans le communiqué annonçant la décision de la ministre, on indique qu’une demande de classement pour les collections des sulpiciens avait déjà été déposée 2002. « En attente pendant dix ans d’un verdict des gouvernements précédents », la demande sera refusée en 2012.
Tout avis d’intention de classement doit d’abord être transmis au propriétaire des biens visés puis publié dans un journal local ou régional. Les intervenants ont ensuite soixante jours pour faire des représentations auprès du Conseil du patrimoine culturel du Québec qui conseille la ministre sur les décisions à prendre. Si la ministre décide de procéder au classement, explique la Loi sur le patrimoine culturel, elle devra alors signer un avis à cet effet dans un délai de 90 jours à un an après la transmission de l’avis d’intention. Le bien classé est alors inscrit au Registre du patrimoine culturel.
Une bonne nouvelle
Cet avis de classement, « c’est une bonne nouvelle », dit David Bureau, le président du conseil d’administration du Regroupement des archivistes religieux (RAR). « Cela veut dire que les biens patrimoniaux des sulpiciens vont demeurer complets et sont moins à risque d’être vendus ou dispersés. »
Des questions demeurent toutefois sans réponse. « Comment les sulpiciens vont-ils respecter les exigences de ce classement? Comment feront-ils sans l’équipe qu’ils avaient jusqu’à son licenciement? », demande M. Bureau. « Heureusement, nous avons pu sauver les archives. C’est la moindre des choses. Mais l’expertise perdue est irremplaçable. »
Les événements des derniers jours ont montré que même « des archives aussi précieuses que celles des sulpiciens » peuvent être mises en danger. C’est pourquoi le président du RAR s’inquiète dorénavant pour les biens et les archives d’autres congrégations religieuses, devenues incertaines face à leur avenir et n’ayant pas la notoriété ou « l’éclat des sulpiciens ». C’est toute la société qui doit dorénavant s’interroger « sur le sort qui attend les archives de toutes les communautés ».
En signant cet avis de classement, la ministre s’assure que les collections des sulpiciens seront adéquatement protégées, se réjouit l’historienne Brigitte Caulier. Aussitôt l’avis rendu public, « on ne peut plus transporter les biens hors Québec, on ne peut pas les altérer », explique la présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française qui estime qu’il y avait, jusqu’à l’intervention de la ministre de la Culture et des Communications, un risque bien réel de dispersion de la collection.
Pour cette spécialiste de l’histoire socioreligieuse du Québec, ce danger n’est pas nouveau. Il y a quinze ans, elle s’inquiétait déjà du fait que les autorités de certaines congrégations religieuses « se déplacent du Québec vers l’étranger ».
« C’est leur droit », dit-elle, mais cela peut avoir des conséquences sur le lieu où seront dorénavant conservés les biens et les archives de ces communautés. « Des communautés ferment, d’autres se restructurent », observe-t-elle encore. Dans ces cas aussi, le sort de leurs biens patrimoniaux s’avère incertain.
Dans une lettre acheminée plus tôt cette semaine à la ministre Roy, l’Institut d’histoire de l’Amérique française, une trentaine d’institutions et plus de 700 individus invitaient le gouvernement à s’intéresser au sort du patrimoine de toutes les congrégations. « À la vitesse où les communautés religieuses québécoises ferment leurs maisons, un plan national d’intervention s’impose. Il devrait reconnaître la valeur patrimoniale des archives religieuses, inclure l’ensemble des acteurs concernés — dont Bibliothèque et Archives nationales du Québec — et prévoir un financement pérenne et suffisant pour assurer leur conservation et leur mise en valeur », écrivaient ces spécialistes.
La Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice n’avait pas réagi, mardi soir, à la décision de la ministre Nathalie Roy. Il y quelques jours, le supérieur provincial des sulpiciens avait indiqué que les archives et les biens patrimoniaux de Saint-Sulpice étaient en sécurité. « Nous allons continuer à les protéger comme nous l’avons toujours fait. Ils sont d’une importance historique, capitale. Nous en sommes conscients et nous allons continuer d’agir en conséquence » avait déclaré Jorge Humberto Pacheco Rojas.