Dans son fauteuil, René Guay a l’air serein, même s’il sait que sa vie vient de basculer. Sourire aux lèvres, le nouvel évêque de Chicoutimi raconte comment il a vécu sa nomination par le pape François le 13 novembre dernier. Le nonce apostolique au Canada, de passage à Québec, avait demandé à le rencontrer.
« On dit beaucoup de bien de vous », lui lance Mgr Luigi Bonazzi, qu’il rencontrait à l’archevêché.
« Ah, lui répond René Guay, étonné. Vous avez croisé quelqu’un qui me connaît? » Puis le nonce se met à lui parler des consultations et du processus qui vise à recruter les nouveaux évêques.
« J’ai commencé à renfoncer dans mon fauteuil. Je n’ai jamais pensé que ça pouvait être Chicoutimi. Pourtant, je viens de là. Le nonce me donne quelques qualités pour m’encourager, me tend une lettre et me dit: « le pape vous nomme évêque-élu de Chicoutimi ». Je n’osais pas trop prendre l’enveloppe! Mon Dieu, à quoi ça engage ça? », détaille l’homme de 67 ans.
De retour à son condo situé dans un quartier nord de Québec, il dit avoir ressenti une « solitude profonde ».
« Ça a été dans la prière et l’abandon. Tu es tout seul avec la décision. Ça a de grosses conséquences sur ta vie. Ta vie vient de basculer, d’une certaine manière. Et dans la prière en soirée, c’est monté très très fort: pourquoi j’essaye de choisir la manière dont je vais donner ma vie? Je suis dans le milieu carcéral, pour moi c’était ma manière de donner ma vie, et je pensais continuer jusqu’à ce que j’en aie la force », explique celui qui, depuis juin 2015, était aumônier à l’Établissement de détention de Québec.
« Peu à peu, la paix s’est installée, puis à 23 h 30 le soir, j’écrivais ma lettre au pape. J’ai eu une nuit agitée. Je me réveillais et me demandais si j’avais rêvé ça. Je me suis levé le matin et je sentais quand même de la paix, de la joie, de la crainte, bien sûr, et de la peur, des inquiétudes. »
Pressé de préciser la nature de ces peurs, il éclate de rire.
« Je connais mon diocèse! »
Par cette nomination, il devient le premier évêque originaire du diocèse à en devenir l’ordinaire. Mgr Roch Pedneault, aussi natif de la région, a été évêque auxiliaire, mais non responsable du diocèse. René Guay succède à Mgr André Rivest, qui en était l’évêque depuis septembre 2004.
Né le 4 septembre 1950, René Guay est toujours resté attaché à son village de Saint-Thomas-Didyme. C’est d’ailleurs là qu’il a été ordonné prêtre par Mgr Marius Paré le 13 juillet 1975. Quatre ans plus tard, il partait comme missionnaire au Chili en tant que prêtre associé à la Société des Missions-Étrangères de Pont-Viau. Il y resta pendant 13 ans. À son retour, il devint directeur spirituel du Grand Séminaire de Chicoutimi, poste qu’il occupa de 1993 à 2004, et chargé de cours au département des Sciences religieuses et d’Éthique de l’Université du Québec à Chicoutimi de 1995 à 2001. Il fut aussi professeur à l’Institut de formation théologique et pastorale du diocèse de Chicoutimi de 2004 à 2015. En 2016, il obtint un doctorat en théologie pratique.
L’homme des frontières
« Je suis l’homme des frontières. J’ai toujours travaillé aux frontières: dans la vie missionnaire, le milieu carcéral, comme chargé de cours à l’UQAC, puis à l’Institut de formation théologique comme formateur en Bible populaire. J’ai toujours cherché à sensibiliser et à faire aimer la Parole de Dieu », dit-il.
Son condo bien ordonné, où il nous reçoit, respire la simplicité. Sa croix pectorale est posée sur une petite crédence. René Guay n’a rien de pontifiant : le col ouvert, ses réponses sont aussi franches que ses rires.
Une simplicité qui rappelle un certain pape…
« Dans les commentaires que j’ai eus après l’annonce de ma nomination, les gens mentionnent toujours le pape François. On me dit voir en moi certaines de ses qualités – je ne dis pas que je suis le pape, loin de là! – mais une attention spéciale aux pauvres, aux exclus de la société, aux blessés de la vie, et une tendance à être un peu imprévisible parfois par ma présence. »
Sa première visite officielle en tant qu’évêque-élu fut d’aller rendre visite à des religieuses dans une infirmerie.
« Je ne réalise pas encore qu’à chaque fois que je me déplace dans le diocèse, ça a un impact. C’est un peu spécial, mais j’écoute mon cœur. Et mon cœur me dit: essaye-le », confie-t-il. « Si j’ai la chance, j’aimerais ça faire du bénévolat à la maison des sans-abris. Les gestes, les signes, c’est important. Ça parle plus que les paroles. Je veux que les gens se sentent respectés dans ce qu’ils sont. Je ne suis pas celui qui a la solution à tout, où tout est décidé d’avance. »
Auprès des pauvres
Quand on lui demande de quel modèle épiscopal il entend s’inspirer, son regard se porte vers l’Amérique latine. Il évoque les noms de Mgr Oscar Romero et de Mgr Enrique Alvear Urrutia, surnommé « l’évêque des pauvres ». Mais il mentionne aussi un prêtre âgé chilien dont il a retenu quelques éléments essentiels.
« Il nous disait lors d’une retraite: ‘quels que soient les appels de l’Église, ou les fonctions que vous occupez dans l’Église, ayez toujours les pieds là où sont les pauvres’. J’ai retenu ça. Le reste de ma vie, j’ai toujours voulu avoir les pieds – et quand tu as les pieds, tu as le cœur aussi d’habitude. Et ça, ça te transforme. Les pauvres t’évangélisent. »
Sa devise épiscopale est d’ailleurs inspirée de cet engagement: « Il m’a envoyé annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres ».
Il convient que la pauvreté de ses années au Chili n’est pas nécessairement la même qu’il rencontrera dans le diocèse de Chicoutimi. Mais il insiste pour avoir un « amour particulier pour ceux qui ne l’ont pas facile dans la vie ». « Je veux être attentif aux signes de l’Esprit. Pas nécessairement une pauvreté matérielle, mais les jeunes qui se sentent seuls dans cette société qu’ils questionnent à leur manière », donne-t-il en guise d’exemple.
Les défis de l’Église de Chicoutimi
Il sait également qu’il arrive dans une Église qui a connu quelques tensions au cours des dernières années. Certaines, comme la sortie musclée de Mgr André Rivest contre la tenue d’une Fête de l’amour dans l’une de ses paroisses, avait causé des frictions au sein du personnel pastoral. René Guay, lui, autoriserait-il une telle Fête?
« Je n’aimerais pas être mis devant un fait accompli, d’avoir à répondre devant le Saint-Siège de situations dont t’es pas partie prenante, t’as pas le goût de donner un bon coup de bâton pastoral et de couper des têtes. Je n’ai pas du tout cette intention-là. Je pense que si on est adulte dans la foi, collaborateur d’un évêque, on pourrait s’assoir ensemble, regarder un projet, en discuter, sonder le terrain, et on vérifie. Mais la décision se prend en Église », établit-il d’abord.
« Comme évêque, c’est sûr que je veux être avec l’Église, l’Église Peuple de Dieu. On peut échanger, discuter, mais on n’est pas obligés d’être d’accord tout le temps. Il y a des projets comme ça… On pourrait dire qu’on n’ira pas dans ce sens-là. Ça pourrait arriver. Mais ce sont toutes des situations extrêmement délicates. » Puis, il s’arrête quelques secondes et ajoute: « Ce que je souhaite vraiment, vraiment, c’est ne pas être évêque seul. Je veux être évêque avec le Peuple de Dieu. Et ensemble, avancer. »
À cet égard, il entend bien poursuivre les efforts en vue du tournant missionnaire entrepris par le diocèse, ce processus qui consiste à le réorganiser en fonction d’une mission d’évangélisation et non seulement en des termes administratifs.
« On peut fermer des églises, mais ne fermons jamais une communauté », dit-il. « Il y a un modèle d’Église qui est en transformation. Il y a un autre modèle d’Église qui est possible. Je ne suis pas inquiet pour l’avenir, mais je n’essaierai pas de remodeler à partir du même modèle que celui qu’on a connu au Québec. »
En revanche, l’évêque-élu a bien connu au Chili le modèle des petites communautés de base centrées sur la Parole de Dieu. Il abordait d’ailleurs ce concept dans sa thèse de doctorat.
« C’est sûr qu’il ne s’agit pas de répéter au Québec le modèle sud-américain en pensant que c’est la solution. Mais il faut être attentif: c’est quoi que l’Esprit nous suggère aujourd’hui? Sortir de nos planifications administratives. Je pense que la première chose, c’est tout faire pour que des enfants, des ados, des adultes, des personnes âgées, aient une rencontre avec le Christ qui soit signifiante dans leur vie. Et ça, en le vivant dans des relations avec d’autres aussi. Mais si tu n’as pas fait la rencontre du Christ dans ta vie, tout le reste, ce n’est pas important. C’est pour ça que dans le contexte actuel, l’Église apparait à côté du monde, à côté de la société. Alors que le concile Vatican II nous a aidés à resituer l’Église au cœur du monde. Souvent, c’est tentant pour l’Église de devenir une société autonome et parallèle au monde. Non! Il faut être au cœur du monde. »
Progressiste?
Avant même son ordination, René Guay s’est mis à recevoir des lettres qui le mettaient en garde contre ceci ou cela au sein de son diocèse. Une manière de prendre le pouls d’un homme qui refuse toute étiquette.
« Dans l’Église on ne se définit pas par progressiste ou conservateur. Je dirais avant tout: je veux me laisser inspirer par ce que l’Esprit suscite et dit aux Églises d’aujourd’hui. Une chose est certaine – ça a été un leitmotiv de toute ma vie je pense – c’est sûr que quand on parle de se faire proche avec les pauvres, c’est aussi prendre parti pour eux. Et prendre parti, parfois, ça veut dire avoir des positions qui ont des conséquences. Pour certains, je dois déjà apparaître ouvert ou progressiste. Peut-être. D’autres diront que sur certains aspects, je suis pas mal conservateur et pas évêque pour rien! », convient-il en riant.
« Mais je dirais que je suis un homme d’Église, ça c’est sûr. Et quand je dis l’Église, c’est vraiment dans toute sa beauté et tout son mystère. Et je suis un homme de compromis je crois, un homme prudent – pas peureux. Je suis plutôt du genre à aller de l’avant. Mais je suis un homme prudent. Je pense qu’on peut me qualifier de conservateur sur des aspects, progressiste sur d’autres. »
L’ordination épiscopale de René Guay a lieu le 2 février 2018 à la cathédrale Saint-François-Xavier de Chicoutimi.