Ne savez-vous donc pas que les injustes n’hériteront pas du Royaume de Dieu? Ne vous y trompez pas! Ni les débauchés, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les arsénokoitaï, ni les voleurs, ni les accapareurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les filous n’hériteront du Royaume de Dieu. (1 Co 6, 9)
La traduction anglaise du mot arsénokoitaï par « homosexuels » est utilisée pour justifier des lois ou des pratiques discriminatoires à l’encontre des lesbiennes, des gais et des bisexuels. Pensons aux souffrances des jeunes envoyés dans des centres de « thérapie » de conversion.
Dans son autobiographie intitulée Boy Erased (2016), l’écrivain états-unien Garrard Conley raconte qu’un adolescent gai a été battu à coups de Bible au camp Love in Action, dans le Tennessee, où il avait été envoyé par ses parents religieusement homophobes, membres de la convention baptiste du Sud, pour y être exorcisé de son « démon homosexuel ». On apprend vers la fin du livre que le jeune homme s’est suicidé. Cette tragédie n’est pas un cas isolé, mais reflète un problème social réel. Selon le Suicide Prevention Resource Center du Massachusetts, les jeunes lesbiennes, homosexuels et bisexuels sont cinq fois plus enclins à songer au suicide et sept fois plus enclins à tenter de mettre fin à leurs jours[1]. De nombreuses études ont montré que les jeunes exposés à de telles thérapies étaient plus susceptibles de manifester des problèmes de santé mentale tels que la dépression et l’idéation suicidaire[2]. Ainsi, la traduction inexacte d’un mot de la Bible peut avoir des répercussions dramatiques sur la vie des personnes que ce mot désigne.
Comment traduire arsénokoitaï?
Le terme arsénokoitaï est un mot dérivé de deux mots grecs : arsen, qui signifie « homme », et koite, qui a plusieurs significations, dont « lit », « couchette » ou « relations sexuelles ». On le trouve dans le Nouveau Testament de la Bible, précisément dans deux versets : 1 Corinthiens 6, 9-10 et 1 Timothée 1, 10. Dans le second cas, le mot apparaît dans une énumération de criminels dont la majorité a pour point commun d’abuser d’autrui sans son consentement.
L’usage précis de arsénokoitaï dans le Nouveau Testament est difficile à déterminer, car il peut être considéré comme un hapax legomenon, c’est-à-dire un mot qui n’apparaît qu’une fois dans un certain corpus de textes. En l’occurrence, arsénokoitaï n’apparaît que deux fois dans le Nouveau Testament et n’est pas utilisé dans la littérature grecque classique connue à ce jour. Pour ces raisons, la plupart des chercheurs considèrent ce mot comme un néologisme créé par Paul.
Certaines traductions utilisent des termes généraux comme « débauchés » ou « immoraux », tandis que d’autres emploient des termes plus spécifiques et stigmatisants comme « homosexuels ».
Le terme grec arsénokoitaï pose des défis substantiels en matière de traduction, en raison de sa complexité sémantique et contextuelle. Une traduction courante, « homosexuel » (souvent en anglais), s’avère problématique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, arsénokoitaï semble se référer à un acte spécifique, tandis qu’ »homosexuel » englobe une gamme d’identités et de préférences sexuelles, indépendamment de l’activité sexuelle réelle. Par exemple, un individu peut s’identifier comme homosexuel sans nécessairement être sexuellement actif, tout comme un prêtre catholique peut être hétérosexuel tout en choisissant de vivre la continence. En outre, le terme « homosexuel » inclut les femmes, alors que arsénokoitaï semble spécifiquement lié à des actes impliquant des hommes.
Une autre traduction proposée (souvent en français), « sodomite », est également problématique. Un sodomite est défini comme une personne qui pratique le coït anal. Cependant, cette pratique n’est pas exclusive aux couples homosexuels ; elle peut également être pratiquée par des couples hétérosexuels. De plus, les relations homosexuelles comprennent une variété d’interactions et de pratiques sexuelles qui vont bien au-delà de la pénétration anale. Les études sur les comportements sexuels des hommes qui s’identifient comme homosexuels ou bisexuels révèlent une diversité de pratiques, allant des baisers et de la masturbation mutuelle au sexe oral. En fait, moins de la moitié des participants à une étude ont signalé avoir pratiqué le coït anal.
La traduction de arsénokoitaï par « pédéraste » est également erronée. Un pédéraste est un homme qui a des relations sexuelles avec de jeunes garçons, un comportement qui ne devrait pas être utilisé pour décrire l’homosexualité en général. L’association de l’homosexualité à la pédophilie est un préjugé infondé et discriminatoire. Arsénokoitaï peut être interprété comme une référence aux relations sexuelles entre hommes, sans spécification de l’âge des participants. Par conséquent, l’utilisation du terme « pédéraste » pour traduire arsénokoitaï est incorrecte et repose sur un préjugé.
En somme, les tentatives de traduction de arsénokoitaï par « homosexuel », « sodomite » ou « pédéraste » sont insatisfaisantes et problématiques, en raison des nombreuses nuances et significations associées à ces termes. L’identification de arsénokoitaï comme une action plutôt qu’une préférence ou une identité souligne la nécessité d’une distinction claire pour éviter la perpétuation de stéréotypes et de préjugés.
Évitons les anachronismes
Les lettres de Paul, rédigées dans un monde radicalement différent du nôtre, ne devraient pas être librement réinterprétées pour correspondre aux valeurs socioculturelles modernes.
L’utilisation par Paul du mot grec arsénokoitaï, bien que complexe et sujette à débat, ne peut être réduite à une simple question de traduction « inclusive ».
L’horizon historique de Paul ne lui permettait pas de comprendre la possibilité de l’existence de couples de même sexe dans une relation consentie et égalitaire. Le mot arsénokoitaï qu’il a utilisé une ou deux fois reflétait sa perception des relations sexuelles entre hommes : des actes non consentis, des violences infligées aux esclaves. Ainsi, invoquer Paul pour critiquer les relations homosexuelles se révèle anachronique.
Nous vivons certes dans une ère qui valorise la diversité et l’inclusion, mais cela ne justifie pas de réinterpréter l’histoire et le contexte culturel des textes bibliques pour les adapter à des agendas politiques ou sociaux actuels. Cela créerait en effet une distorsion, car il s’agirait d’une réécriture de l’histoire.
Or, toutes les réécritures de l’histoire nuisent nécessairement, ne serait-ce que parce qu’elles nous privent d’une perspective historique. La véritable question n’est pas de savoir comment nous pouvons adapter ces textes anciens à nos normes modernes, mais plutôt comment nous pouvons comprendre pourquoi ces textes ont été rédigés de cette façon à l’origine et quels enseignements nous pouvons en tirer aujourd’hui. Il est essentiel de respecter l’intégrité des textes originaux, sans chercher à les falsifier pour qu’ils correspondent à des idéologies contemporaines. Faillir à cette responsabilité peut avoir des conséquences graves, voire mortelles.
Notes
[1] Suicide Prevention Resource Center, Suicide Risk and Prevention in Gay, Lesbian, Bisexual and Transgender Youth, Newton (Massachusetts), Education Development Center, Inc., http://www.sprc.org/sites/default/files/migrate/library/SPRC_LGBT_Youth.pdf..
[2] Christy Mallory, Taylor Brown et Kerith Conron, Conversion Therapy and LGBT Youth, Williams Institute, UCLA School of Law, 2020.