Et si les catholiques LGBTQ+ venaient de vivre leur première Marche des fiertés officielle ? C’est, en filigrane, ce que suggère le pèlerinage organisé par l’association italienne La Tenda di Gionata le 6 septembre 2025 au Vatican. Intégré au programme du Jubilé par le pape François, puis confirmé par Léon XIV, il marque un jalon inédit : une reconnaissance institutionnelle, même encadrée, de fidèles longtemps relégués aux marges de l’institution catholique.
Rassemblant près de 1 400 participants venus d’une vingtaine de pays, l’événement a été vécu comme une inclusion historique. Messe officielle, passage de la Porte sainte, rencontre du pape avec le père James Martin [1] : autant de gestes symboliques inscrivant les catholiques LGBTQ+ dans la «grande famille» de l’Église. Pour beaucoup, c’était enfin la possibilité de marcher au grand jour. Non pas contre, mais avec l’institution.
Avancées pastorales, statu quo doctrinal
Mais ce tournant reste traversé par un paradoxe. Depuis plus d’un demi-siècle, le magistère catholique réaffirme l’incompatibilité supposée entre foi chrétienne et homosexualité. Les textes successifs de la Congrégation pour la doctrine de la foi – Persona Humana (1975), la Lettre aux évêques sur la pastorale des personnes homosexuelles (1986) ou encore les Considérations sur les unions homosexuelles (2003) – ont consolidé une vision anthropologique fondée sur la complémentarité sexuelle et la fécondité conjugale. Le Catéchisme de l’Église catholique de 1992 reprend cette logique en qualifiant les actes homosexuels d’«intrinsèquement désordonnés», contraires à la loi naturelle et incapables de donner pleinement sens à l’acte sexuel. La famille hétérosexuelle, issue du mariage, y est définie comme l’institution naturelle voulue par Dieu et demeure le pivot de l’ordre social et moral chrétien.
La déclaration Fiducia supplicans, publiée en décembre 2023, autorise certes la bénédiction de couples de même sexe – une première dans l’histoire du Vatican. Mais cette avancée est rapidement nuancée : il ne s’agit pas de bénir les unions, considérées comme «irrégulières», mais plutôt les individus. Le Vatican avance donc par gestes pastoraux sans réviser ses fondements anthropologiques.
Au Québec, cette tension trouve un écho particulier. Dès les années 1990, la paroisse Saint-Pierre-Apôtre à Montréal a mis en place une pastorale explicite d’accueil inconditionnel des minorités sexuelles, notamment face au sida. L’inauguration de la Chapelle de l’Espoir en 1996, dédiée aux victimes de l’épidémie, reste un jalon unique au monde. Plus récemment, Our Lady of Lourdes à Toronto a emprunté la même voie. Ces initiatives locales illustrent ce qu’on appelle le principe de pastoralité : une Église de terrain qui adapte ses rites et accompagne les marges, par contraste avec l’Église institution, gardienne de la doctrine.
Une Église en tension
Le pèlerinage de 2025 illustre un basculement : des pratiques longtemps confinées aux périphéries – bénédictions, liturgies inclusives, accueils communautaires – accèdent désormais à une reconnaissance institutionnelle. Mais la prudence reste de mise : la doctrine demeure immobile.
Ce double mouvement, hérité du pontificat de François, révèle une Église à deux visages : gestes d’ouverture d’un côté, rigidité normative de l’autre. L’intégration du pèlerinage au Jubilé, reprise par Léon XIV, incarne à la fois l’espoir d’une reconnaissance et la désillusion d’une institution qui n’ose pas transformer son enseignement. On pourrait y voir une tentative sincère de restaurer la dignité de fidèles blessés. On pourrait aussi y lire une interprétation plus cynique : celle d’une stratégie de communication à faible coût, une forme de pinkwashing destinée à masquer le statu quo doctrinal dans un contexte d’exculturation accélérée en Occident.
Cette reconnaissance demeure sélective. L’Église met surtout de l’avant des modèles jugés «respectables», comme les couples stables de même sexe qui rappellent le modèle hétérosexuel du mariage. À l’inverse, d’autres formes de vie ou d’identités – celles de personnes qui se revendiquent queer, non binaires ou trans, mais aussi celles qui s’inscrivent dans d’autres formes d’«orientations intimes» que la seule sexualité conjugale – restent invisibles ou jugées suspectes. Cette homonormativité ecclésiale traduit la difficulté de l’institution à reconnaître la diversité réelle des existences LGBTQ+ et à penser la sexualité en dehors du cadre unique de la conjugalité hétérosexuelle.
Les fidèles LGBTQ+ se retrouvent ainsi dans un entre-deux : ni pleinement intégrés, ni complètement exclus d’une institution qui les tolère plus qu’elle ne les reconnaît. Ce dossier apparaît dès lors comme un laboratoire des fractures plus larges du catholicisme contemporain : la place des femmes, l’accès aux ministères, la contraception, l’avortement. Autant d’enjeux qui montrent que les tensions identitaires autour des personnes LGBTQ+ ne sont que la pointe émergée des défis à venir pour l’Église.
Loïc Bizeul
L’auteur est chercheur postdoctoral à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et coordonnateur de la Chaire Droit, Religion et Laïcité. Sa thèse de doctorat {2}, intitulée L’impossible gai ? Être prêtre catholique et homosexuel au Québec, soutenue avec les félicitations du jury en janvier 2025, porte sur la négociation identitaire de prêtres catholiques homosexuels dans le contexte québécois.
[1] Le père James Martin est un jésuite engagé de longue date dans l’accueil pastoral des personnes homosexuelles au sein de l’Église.
[2] Présence, Prêtres homosexuels : une identité sous contrainte, 19 février 2025.







































