L’été dernier, des prières organisées devant la basilique Notre-Dame de Montréal durant des manifestations pro-palestiniennes ont attiré l’attention des médias et divisé l’opinion. Dans le contexte du débat sur la laïcité, cet exemple est fréquemment évoqué pour justifier un resserrement des règles concernant l’expression du religieux dans la sphère publique. Sur le terrain, les interprétations de ces prières demeurent contrastées.
Tolérance des autorités religieuses
Miguel Castellanos, curé de la basilique Notre-Dame, était absent lors du passage de Présence. C’est donc son remplaçant, l’abbé Guy Bérubé de l’archidiocèse de Montréal, qui nous a reçus. Questionné sur les manifestations pro-palestiniennes qui se sont tenues sur la Place d’Armes, en face de la basilique, l’abbé affirme d’emblée qu’«il y a une tolérance par rapport à ça». Le curé, Miguel Castellanos, n’est «pas offusqué» de ces manifestations, précise-t-il.
S’il admet qu’il peut y avoir un aspect provocateur dans la tenue de prières musulmanes devant une église, le prêtre adopte une vision tempérée. Pour lui, si les manifestants ont choisi la basilique, c’est parce qu’ils souhaitaient être visibles : «Est-ce que ça nous dérange, nous ? Ce n’est pas pendant les messes, c’est après les messes, donc ce n’est pas très grave», insiste-t-il.
«Il y a des gens qui viennent prier dans la basilique pour la question de la Palestine aussi», ajoute d’ailleurs Guy Bérubé. Celui-ci précise toutefois que ces prières ne se déroulent pas dans le cadre d’un événement politique ou militant.
Les groupes pro-palestiniens ne sont pas les seuls à venir manifester sur la Place d’Armes, poursuit l’abbé. Il évoque les adeptes du Falun Dafa, liés à «un mouvement qui a été interdit en Chine et qui manifestaient ici de façon très pacifique. Donc, les gens se passent le mot. Voici une place pour revendiquer : la Place d’Armes», considère le prêtre.
Origine d’une polémique
Des prières musulmanes se sont tenues cet été dans le cadre de marches hebdomadaires pro-palestiniennes organisées par le collectif Montreal4Palestine.
Yous Mohamed a participé à l’une de ces prières. Il rapporte que les marches attiraient environ 200 à 300 personnes, mais que seule «une vingtaine de manifestants ont prié devant la basilique». À la fin de la marche, c’était l’heure de la troisième prière de la journée : «On [a fait la prière sur place] et puis on a quitté. Ce n’était pas pour offenser ni les chrétiens ni d’autres personnes», raconte ce fidèle musulman.
Les images de ces prières ont toutefois circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux, suscitant de vives réactions. Le dimanche 17 août, à l’initiative de Mandana Javan, militante pour les droits des femmes, une contre-manifestation s’est tenue devant la basilique Notre-Dame de Montréal pour plaider en faveur de la laïcité et de l’identité québécoise. Étaient également présents sur les lieux les manifestants pro-palestiniens.
Les membres de la communauté musulmane que nous avons interviewés en dehors des manifestations demeurent partagés quant à la tenue de prières publiques islamiques devant la basilique.
«Si ces gens-là ont prié devant la basilique Notre-Dame, où est le mal si on est en train de prier le même Dieu?», se demande Sofiane.
Mourad, lui, a une autre lecture de ces prières, qu’il perçoit comme une forme de provocation. «Mon islam à moi, ce n’est pas ça. Mon islam à moi respecte toutes les autres religions. Prier devant la basilique est de la provocation, une provocation programmée», dénonce-t-il.
Avis divergents chez les fidèles catholiques
Du côté des fidèles catholiques, ces événements continuent de susciter des réactions contrastées. Jean-Philippe est un habitué de la paroisse. Lors de notre passage, il vient tout juste de sortir de la messe. Son avis sur les prières de rue est catégorique : «Je trouve cela agressif, je trouve que c’est un manque de respect envers la foi religieuse qui a fondé le pays; une foi peut-être moins pratiquée par la majorité des habitants, mais qui reste toutefois profondément ancrée dans la sociologie, l’anthropologie, dans la culture du Québec», affirme-t-il.
Jeanne, qui vient à la messe dans la paroisse depuis plus de 50 ans, a une lecture bien différente. «Tout le monde a le droit de faire sa prière à sa manière. Des musulmans qui prient devant une église, ça ne me dérange pas, c’est bien, on doit les accepter», soutient l’octogénaire. «On peut fraterniser ensemble avec eux. On a le même Dieu, mais on ne le voit pas de la même manière», estime Yves, un autre paroissien.
Salvatore, un fidèle de la basilique depuis douze ans, est plus critique : «C’est comme se moquer de notre religion que de venir faire ça devant nous.» Toutefois, il estime que «l’église ne doit pas réagir, car parfois le silence est la meilleure chose.»