Le 16 mars 2022, Enchères Champagne a mis en vente, dans sa Vente prestige, 33 reliques, un reliquaire vide ainsi que plusieurs autels avec reliques – en plus de divers bijoux, foulards et stylos de luxe.
Ce n’était pas la première fois que ces objets de vénération étaient mis aux enchères: David Bureau, archiviste du Centre d’archives et de documentation Roland-Gauthier à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, avait déjà remarqué au moins deux autres ventes de ce genre sur ce site. Sans compter les reliques qui se retrouvent par centaines sur des sites comme eBay et Etsy.
L’origine de ces reliques la manière dont elles se sont retrouvées en circulation éclaire le contexte religieux du Québec d’hier et d’aujourd’hui.
Un saint, différents types de reliques
Un mot sur les reliques. Il en existe trois classes. Les reliques de première classe sont par exemple des os, du sang ou des cheveux d’un saint, qui peuvent transférer un élément de sacralité à d’autres objets. Ainsi, les reliques de deuxième classe (comme des morceaux de tissus) ont touché celles de première classe et les reliques de troisième classe ont été mises en contact avec celles de deuxième classe. Les reliques de première classe sont les plus prisées.
Toutes classes confondues, des centaines de milliers de reliques ont été créées au Québec au fil des années. Une série de lois régit toutefois leur confection et leur utilisation. Le droit canonique interdit ainsi de prendre un morceau du corps d’une personne pour en faire une relique tant que la personne n’a pas été au moins béatifiée, explique Stéphane Martel, directeur adjoint et responsable de la recherche du Site historique Marguerite-Bourgeoys, puisqu’il s’agit quand même de démembrer un corps.
Par exemple, quand Marguerite Bourgeoys, la fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame, a été béatifiée en 1950, on a ouvert son tombeau pour identifier ses restes, le tout d’une manière très codifiée, avec plusieurs personnes, dont un évêque et un médecin légiste. Un fragment de corps a alors été prélevé pour la fabrication de reliques, qui ont été mises dans des reliquaires. Un certificat atteste ce qu’est chaque relique et à quelle date elle a été prélevée. Mgr Paul-Émile Léger a par exemple signé beaucoup de certificats d’authenticité pour les reliques de Marguerite Bourgeoys. Le reliquaire, quant à lui, est scellé avec un sceau en cire pour assurer l’intégrité de la relique. Ces dernières sont ensuite données. Si elles ne sont pas certifiées, les reliques ne peuvent être exposées dans les églises pour la vénération des fidèles, selon la Congrégation pour la cause des saints.
Il est encore possible de fabriquer aujourd’hui des reliques de première classe, mais l’opération est plus rare. Le musée Marguerite-Bourgeoys reçoit par exemple certaines demandes, soumises à une évaluation selon une série de règles, entre autres pour éviter le trafic de reliques. Mais Stéphane Martel ne se souvient pas d’une création de reliques de première classe depuis son arrivée en poste en 2007.
La circulation des reliques au XIXe siècle
Ce n’est pas un hasard, selon Michel Dahan, historien et ancien responsable des archives historiques du diocèse de Montréal, si on trouve plusieurs centaines de reliques en circulation aujourd’hui.
Au XIXe siècle, alors que la population catholique grandissait au Québec, et en l’absence de saints locaux, beaucoup de prêtres, religieux et même des laïcs ont voyagé jusqu’en Europe pour faire l’acquisition de reliques. Le plus connu de ces religieux est Calixte Marquis, qui a d’ailleurs ouvert un sanctuaire de reliques au Québec. Rentré au pays en 1885 après un voyage de trois ans, il avait 5000 reliques dans ses bagages. Cette collection sera ultérieurement mise en valeur dans la Tour des Martyrs (1895-1975), à Saint-Célestin.
Ces religieux se rendaient particulièrement à Rome, où ils pouvaient obtenir non seulement de petites reliques, mais aussi des corps entiers de saints. Michel Dahan a trouvé plus d’une centaine de ces corps saints au Canada, qui ont été expédiés par bateau outre-Atlantique. Par exemple, les ossements du corps de saint Zotique, exhumé en 1842 et ramené à Montréal, ont été placés dans une figure de cire pour la vénération des Montréalais.
Par ce système d’importation, les communautés religieuses québécoises ont accumulé des collections importantes de reliques. Ces dernières étaient alors vues comme des trésors et mises au centre de diverses dévotions, comme des processions. Les gens avaient l’habitude de venir vénérer une relique d’un saint le jour de la fête de ce dernier, par exemple. Les reliques sont aussi très importantes dans les autels: quand le prêtre embrasse l’autel après la procession d’entrée, il embrasse en fait la relique, la vénérant.
Les reliques servent en effet à la prière, à la vie pastorale, à la vie spirituelle d’un individu, explique David Bureau. Par la présence, par la proximité physique, les gens cherchent à se rapprocher un peu de l’essence spirituelle de la personne qui est représentée par la relique. Ce sont des objets sacrés, et c’est pour cela que l’Église essaie d’en interdire leur vente.
Pour David Bureau, on n’a pas nécessairement conscience aujourd’hui de la valeur spirituelle de ces objets, qui ont d’ailleurs été en majorité retirés des églises. Il y a de nos jours beaucoup de reliques, mais peu de demandes dans les milieux catholiques de la province. Selon Dahan, «les collections de reliques au Québec sont très importantes, particulièrement chez les communautés religieuses. On a probablement parmi au Québec, parmi les plus grandes collections de reliques en Amérique du Nord.»
Bien s’en départir est donc un défi et les reliques peuvent se retrouver entre des mains de personnes qui ne connaissent pas leur valeur spirituelle.