Depuis le 5 mai 2021, le téléphone a sonné au moins une fois par jour chez Marie Christine Kirouack, l’avocate montréalaise à qui Mgr Christian Lépine a confié la responsabilité de recevoir toutes les plaintes d’abus et de comportements inappropriés commis par des prêtres, des membres du personnel ainsi que des bénévoles de l’archidiocèse de Montréal.
« Une centaines d’appels mais aussi plusieurs courriels », précise-t-elle lors d’un entretien téléphonique.
Dans son tout premier rapport trimestriel à titre d’ombudsman qui a été rendu public le 9 septembre, Me Kirouack révèle que parmi tous ces appels, 29 dénonciations ont été reçues puis analysées puisqu’elles étaient liées à des abus sexuels, physiques, psychologiques ou financiers. Depuis, elle a acheminé 26 plaintes formelles au comité consultatif chargé de les étudier et qui doit émettre une ou des recommandations à l’archevêque. En raison des vacances estivales, toutes ces plaintes n’ont pas encore été traitées, reconnaît-elle. L’ombudsman confirme toutefois que « 16 ont été retenues, trois ont été rejetées et trois ont été fermées par manque d’information ».
« Le nombre de plaintes n’est pas nécessairement représentatif du nombre d’appels reçus de victimes », explique Me Kirouack. « Certaines victimes ont choisi de ne pas porter plainte ou réfléchissent encore à l’opportunité de le faire. Par contre, certaines victimes, sans vouloir porter plainte, ont manifesté le souhait que leur cas soit inclus dans mes statistiques. »
« C’est ce que j’ai fait », assure-t-elle.
Parmi les plaintes retenues, sept enquêtes ont déjà été recommandées et « sont présentement en cours ou sur le point de débuter ». C’est une entreprise externe, Quintet, qui a la responsabilité de mener ces enquêtes.
Le rapport trimestriel de Me Kirouack a été remis le 17 août aux autorités diocésaines. Ce document de 14 pages a été publié le jeudi 9 septembre, trois semaines plus tard. On n’y mentionne ni les noms des victimes, ni ceux des abuseurs allégués. Mais on indique que les 29 personnes visées sont majoritairement des membres de communautés religieuses (16) et des membres du clergé diocésain (10). Trois seulement sont des laïcs à l’emploi de congrégations.
« Les plaintes visent des événements qui se sont déroulés des années 1950 à nos jours », révèle aussi le rapport de Me Kirouack. Quinze des 29 abus rapportés ont eu lieu dans les années 1950 ou 1960. Six se sont déroulés dans la dernière décennie alors que huit abus allégués auraient été commis en 2020 et 2021.
« L’âge des victimes au moment des abus va des enfants d’âge primaire aux adultes de plus de 80 ans », rapporte encore l’ombudsman.
Si pas moins de 22 plaintes sont liées à des abus sexuels, l’avocate a aussi reçu des plaintes concernant des abus psychologiques, financiers ou physiques. « Dans le cas d’abus sexuels et physiques, 31,3% des victimes ont été victimes d’abus de façon répétée », précise-t-elle, prenant soin de souligner en rouge le nombre.
« J’espère que le présent rapport encouragera d’autres victimes à porter plainte afin que les abus cessent une fois pour toutes », conclut Me Marie Christine Kirouack.
Autres plaintes
Le numéro de téléphone de dénonciation qui paraît sur la page d’accueil du site Web de l’archidiocèse de Montréal est le (514) PLAINTE. Les personnes qui y ont eu recours durant les trois derniers mois ont déposé des plaintes – un total de 19 – qui ne relèvent pas du mandat de l’ombudsman.
Le rapport de Me Kirouack indique, par exemple, que 13 plaintes formelles concernaient « majoritairement des difficultés entre le personnel diocésain ou paroissial et des membres du clergé ». Elles ont alors été remises à l’Office du personnel pastoral.
Six autres plaintes reçues n’étaient ni liées au clergé et ni relatives à des abus commis sur le territoire de l’archidiocèse. Elles concernaient, par exemple, l’entretien des cimetières, la COVID-19 et l’absence d’excuses du pape François sur la question des pensionnats autochtones.
L’ombudsman indique aussi avoir reçu plus d’une dizaine de plaintes pour des abus physiques et sexuels commis par des membres de congrégations religieuses qui ne sont pas liés à l’archidiocèse de Montréal. « Dans ces cas-là, j’ai dû à regret décliner compétence », tout en conseillant aux victimes de déposer leur plainte aux autorités des diocèses ou des communautés concernés, indique Me Marie Christine Kirouack.
Se souvenir de mon histoire
Me Kirouack confie que certaines discussions avec des victimes l’ont bouleversée. « Je pense souvent à ces personnes de 70 ans et plus qui m’ont contactée afin de me raconter des événements qu’elles n’avaient jamais révélés à quiconque. Dans certains cas, elles ont déposé une plainte formelle. Dans d’autre cas, elles ne l’ont pas fait. »
Une personne a expliqué à l’ombudsman ne pas vouloir porter plainte car son agresseur était décédé depuis un bon moment. « Ça ne donnera rien. Mais ce dont j’ai besoin, c’est qu’on se souvienne de mon histoire. C’est pour cela que je vous ai téléphoné », lui a-t-elle confié.
Me Kirouack confirme aussi que le comité diocésain sur les abus envers les personnes vulnérables a déjà commandé sept enquêtes à la firme Quintet, un cabinet-conseil spécialisé en prévention et gestion des différends et en réalisation d’enquêtes sur des allégations de harcèlement, d’inconduite, de discrimination ou de violence au travail.
« Au terme de chacune de ces enquêtes, Quintet fera part de ses constats au comité consultatif qui fera ensuite ses recommandations » à l’archevêque de Montréal.
Enfin, Me Kirouack confirme que des mandats pastoraux ont été temporairement retirés, « le temps de faire enquête ». Mais aucune sanction n’a encore été prise contre des prêtres, religieux ou laïcs qui auraient commis les abus qui ont été dénoncés depuis sa nomination comme ombudsman.