Les «padres» – terme familier et affectueux que les soldats utilisent pour désigner les aumôniers militaires – sont des figures appréciées au sein des forces armées américaines. Mais la présence de prêtres catholiques au sein de la hiérarchie militaire suscite un malaise chez des pacifistes catholiques.
Prêtre catholique melkite, l’abbé Emmanuel McCarthy s’oppose à l’idée que des prêtres puissent revêtir l’uniforme, joindre les rangs des forces armées et recevoir un salaire de la part d’une institution dont le mandat premier est de faire la guerre et, ultimement, de tuer des êtres humains. Ces prêtres, dit-il, sont en conflit d’intérêt, en plus de devoir faire face à un dilemme théologique.
Emmanuel McCarthy est l’un des fondateurs de la branche américaine de l’organisme pacifiste Pax Christi, un groupe qu’il a cofondé avec Dorothy Day, une figure emblématique du catholicisme social américain. Fondatrice du Mouvement catholique ouvrier, elle s’est vigoureusement opposée à l’entrée en guerre des États-Unis aux côté des Alliés, lors de la Deuxième Guerre mondiale. Ella a également milité contre la course aux armements nucléaires, ce qui lui a fait perdre l’appui d’une bonne partie de l’establishment catholique américain, et ce, jusqu’à sa mort, en 1980.
Figure bien connue du mouvement pacifiste états-unien, le père McCarthy n’est toutefois pas opposé à ce que des prêtres offrent un accompagnement spirituel aux soldats, marins, aviateurs et membres de la garde côtière. Au contraire, dit-il. À ses yeux, il est impératif qu’un soutien pastoral soit offert aux hommes et aux femmes qui servent leur pays. Or, ajoute-t-il, il est tout aussi essentiel qu’on leur prêche le message de non-violence et d’amour du prochain.
Il déplore toutefois que des membres du clergé doivent joindre les rangs des forces armées à titre d’officiers. Aux yeux du prêtre melkite, ce lien institutionnel avec la hiérarchie militaire empêche les aumôniers de prêcher en toute liberté. Cette prédication, ajoute-t-il, doit rappeler aux soldats que le fait de tuer un autre être humain est un acte fondamentalement mauvais.
À ses yeux, les Églises chrétiennes – fussent-elles catholiques, orthodoxes, protestantes ou évangéliques – font face à un dilemme théologique insurmontable. «L’aumônerie militaire est un problème spirituel et moral majeur pour l’Église, dit-il. Comment peut-on prêcher la Parole de Jésus un jour, puis le lendemain, prendre part à des activités guerrières dont l’objectif ultime est de tuer, de mutiler, d’assassiner, de tromper, etc. Ça n’a pas le moindre sens.»
Les aumôniers militaires ripostent
L’archevêque militaire des États-Unis, Mgr Timothy P. Broglio, s’empresse de prendre la défense des aumôniers des forces armées. Il récuse l’argument voulant que les aumôniers soient en conflit d’intérêt. Il estime au contraire que leur présence au sein des forces contribue à humaniser et à moraliser le travail de la hiérarchie militaire. Les «padres», dit-il, font ainsi contrepoids à la gestion purement technocratique et stratégique des commandants militaires.
Les stratèges et officiers d’état-major ne tiennent pas toujours compte des impératifs moraux mis de l’avant par les aumôniers militaires de haut rang, admet Mgr Broglio. Cela dit, ils n’ont d’autre choix que de tendre l’oreille aux doléances et avis des «padres». Certains aumôniers exercent parfois une influence salutaire sur l’establishment militaire, avance le prélat.
Aux yeux de l’archevêque des forces armées, la présence d’aumôniers sur les navires, et dans les garnisons et bases militaires permet au clergé catholique de guider la conscience morale des hommes et des femmes qui servent sous les drapeaux. Mgr Broglio déplore d’ailleurs qu’aucun aumônier n’ait été déployé à la prison d’Abou Ghraib, en Irak, un centre de détention où des soldats américains et des membres de la CIA ont infligé de mauvais traitements à des détenus.
«Il serait certes présomptueux de croire que la présence d’aumôniers aurait pu prévenir des gestes comme ceux-là», reconnaît l’archevêque. «Mais peut-être y seraient-ils arrivés, sait-on jamais.»
«Notre présence au sein des forces armées permet aussi d’humaniser un peu ce genre de situation», croit Mgr Broglio.
Un «ministère de la présence»
«Ministère de la présence»: tel est le mandat essentiel que doivent accomplir les aumôniers au sein des forces armées, affirme l’abbé Andrew Lawrence. Basé à Fort Jackson, en Caroline du Sud, l’abbé Lawrence est responsable du programme de formation de base à l’intention des aumôniers de l’armée américaine.
Selon lui, ce «ministère de la présence» permet aux aumôniers de court-circuiter la chaîne de commandement et de communiquer directement avec les officiers d’état-major, lorsque la situation le requiert. Et ce, ajoute-t-il, que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre; que ce soit en caserne, en terrain opérationnel ou sur le champ de bataille.
«En plein cœur du chaos et de la violence de la guerre, il n’y a qu’une seule personne dans l’unité, une seule personne dans l’organisation qui représente la paix de Dieu», dit-il.
Cela dit, il n’est pas toujours simple d’être un représentant de paix lorsqu’on évolue dans une institution dont la mission est de faire la guerre, admet l’abbé Lawrence, lui-même aumônier militaire depuis 2003 et désormais major.
Déployé à quelques reprises au front, il a maintes fois fait face aux atrocités de la guerre, en plus d’être confronté à des situations contraires à sa foi.
Il juge cependant essentiel que des aumôniers – c’est-à-dire des non-combattants ne transportant d’ailleurs ni armes, ni attirail de combat, même en zone de conflit – puissent accompagner les troupes partout.
La théorie de la guerre juste
Aux yeux de l’abbé Lawrence tout comme de son archevêque, Mgr Broglio, les forces armées américaines doivent parfois avoir recours à la force afin d’assurer le maintien de la paix. Tout cela, disent-ils, est conforme à la théorie de la guerre juste élaborée par saint Augustin au Ve siècle, et que l’Église catholique reconnaît toujours. Peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001, les évêques américains avaient rappelé qu’ils appuyaient toujours cette théorie. Les partisans de la théorie de la guerre juste tracent des parallèles entre la pensée de saint Augustin et le concept très actuel de responsabilité de protéger.
Dans sa Constitution pastorale «Gaudium et spes» sur l’Église dans le monde moderne, le concile Vatican II a reconnu le bien-fondé de la théorie de la guerre juste. «Aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense», y lit-on.
«Il est parfois nécessaire de défendre le bien, le beau et le vrai», soutient l’abbé William J. Brunner, aumônier sur le USS America, un navire de guerre accosté au large de la base navale de San Diego, en Californie. «Les hommes et les femmes qui acceptent de faire ce sacrifice sont souvent ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés au plan spirituel», dit-il.
«Jésus n’aurait jamais servi dans l’armée»
Emmanuel Charles McCarthy persiste et signe: la théorie de la guerre juste n’est pas un dogme mais une simple théorie. Aussi doit-on la rejeter vigoureusement.
De concert avec le militant pacifiste Art Laffin, l’abbé McCarthy a participé, en avril dernier, à une manifestation antimilitariste devant la Maison-Blanche. Art Laffin y portait une bannière sur laquelle on pouvait lire deux slogans: «Aimez vos ennemis» et «Jésus n’aurait jamais servi dans l’armée». M. Laffin disait alors souhaiter que les prêtres catholiques exerçant leur ministère auprès des membres de forces armées rappellent à ceux-ci que tuer un être humain est un acte fondamentalement mauvais, indépendamment du contexte.
Aux yeux de l’abbé McCarthy, les prêtres et évêques manquent à leur devoir d’hommes de Dieu lorsqu’ils ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher leurs ouailles de joindre les rangs des forces armées.
Il défend cette idée depuis au moins les années 1960. Il avait alors mis sur pied, à l’Université Notre-Dame de South Bend, en Indiana, un programme d’études sur la résolution non-violente des conflits.
«Ma première vocation, même avant d’être ordonné prêtre, a toujours été d’interpeller les Églises afin de les ramener à l’enseignement pacifique et non-violent des Évangiles; de les ramener à l’exhortation que Jésus nous fait d’aimer nos ennemis», dit-il. «L’Église n’existe que pour sauver des âmes. Rien n’est plus important que cela», insiste-t-il.
Chaz Muth, Catholique News Service
Trad. et adap. F. Barriault, pour Présence