La manière dont sont traitées les personnes célibataires dans l’exhortation apostolique Christus vivit pose problème. Le pape François y insiste sur le fait que «la première vocation et la plus importante est la vocation baptismale», mais le célibat, assimilé à un état de vie non voulu, n’est jamais perçu comme un appel en soi. Pourquoi parler du célibat en termes négatifs plutôt que d’y voir un choix assumé, une véritable vocation?
L’image qui me vient en tête est celle d’une loterie. Une fois les numéros gagnants connus, déçu de ne pas gagner, je me dis que la prochaine fois sera la bonne. C’est un peu ce qui se produit lorsqu’on dit ou laisse sous-entendre aux personnes célibataires que leur choix du «célibat-laïque» n’est peut-être pas «un choix intentionnel». Les vrais gagnants à la «loterie vocationnelle» sont les personnes qui ont tiré les billets du mariage, de la vie consacrée ou du ministère ordonné. Alors, avec un large sourire, on dira au célibataire en Église: continue de chercher la bonne combinaison de numéros, et meilleure chance la prochaine fois! Les «célibataires-laïques» sont-elles des personnes perdantes ayant misé sur les mauvais numéros? Viendrait-il à l’idée de dire la même chose en parlant du mariage ou de la vie consacrée?
Si la «première vocation et la plus importante est la vocation baptismale», pourquoi ne serait-il pas possible d’en rester là au niveau du choix vocationnel? Pourquoi ne pourrais-je pas être appelé à vivre pleinement ma vocation baptismale?
L’Évangile selon Jean parle de « vie en abondance » (Jean 10, 10). Le terme grec traduit par «en abondance» est «perissón», qui signifie «en excès, beaucoup, hors mesure, plus, en superflu, une quantité qui dépasse largement ce à quoi on s’attendrait». Jésus nous offre une vie supérieure à tout ce que nous pouvons imaginer. Alors si cela est bien le cas, les «célibataires-laïques» sont aussi appelés à cette vie en abondance. Lorsque j’étais sur les bancs de l’école, on nous a appris qu’en grammaire, «l’exception confirme la règle». Ne peut-on pas appliquer cela à la vocation? Et si les «célibataires-laïques» étaient l’exception à la règle?
Dans l’Église catholique, la majorité des situations de vie sont celle des personnes mariées. Il y a cependant un bon nombre de personnes qui sont concernées par le célibat: prêtres, religieux, religieuses ainsi que les célibataires, consacrés ou pas. On peut définir le «célibat-laïque» comme étant la situation de vie des personnes vivant seules, non consacrées et jamais mariées. Aujourd’hui cette définition a tendance à changer et peut aussi inclure des personnes pour qui le projet d’une vie à deux a pris fin avec un échec, un divorce ou le décès du partenaire. Tous ces chemins de vie sont très différents mais ont en commun le célibat. Celui-ci est choisi et assumé pour certains, ou subi et source de souffrances pour d’autres.
Choisir ou subir… La vie en abondance n’est certainement pas à subir. Ce choix du «célibat-laïque» n’empêchera pas certaines personnes de notre entourage de porter divers jugements: «il ou elle n’est pas fait(e) pour vivre avec quelqu’un», «il ou elle ne pense qu’à son petit confort», «il ou elle n’a aucune maturité», «il ou elle est incapable de s’engager sérieusement», etc. Souvent, lorsque nous abordons des personnes célibataires, nous sommes pleins de préjugés et de méfiance. Et si l’exception à la règle rendait inconfortable? L’atypique nous renvoie à nos propres choix de vie. Et si le «célibat-laïque» était une façon radicale de vivre sa foi?
La personne «célibataire-laïque» et croyante que je suis a fait le choix de prendre au sérieux sa vocation baptismale de prêtre, prophète et roi et de tout miser sur cette vocation. Pour moi, l’amour de Dieu et de son Église a pris toute la place.
À mes yeux, le «célibat-laïque» c’est accepter de vivre sans filet comme un funambule qui, sur son fil tendu, traverse les lieux. C’est pour moi une façon atypique de vivre ma vocation baptismale. Il est vrai que j’ai reçu le baptême à la naissance, mais devenu adulte, je l’ai choisi et accueilli, le faisant mien complètement. Sur mon fil, j’apprends d’abord à m’accepter avec mes qualités et mes faiblesses humaines, avec mes manques et mes dons.
Sur ce fil, j’apprends à progresser d’un point à un autre de ma vie en compagnie des autres croyants avec qui je fais communauté. C’est grâce à eux que le fil demeure tendu et capable de supporter mon poids. Cependant, le risque de perdre l’équilibre demeure.
Sur ce fil il y a solitude et rencontres, joies et souffrances, déchirures et jour nouveau, force et faiblesse. Le «célibataire-funambule» trace à sa manière un chemin d’où jaillissent les continuités, les discontinuités, et parfois même, un chemin pointant vers un Royaume qui parfois ne tient qu’à un fil.
Le funambule, aux yeux de la communauté, est seul et pourtant il est entouré de tous. Quel paradoxe! Il est atypique et permet de mettre en lumière la vocation des autres. Le funambule est solidaire des autres qui, comme lui, selon leur chemin de vie, ont choisi… la vie en abondance.
Le parfait funambule qu’était Jean Vanier déclarait à la revue Famille chrétienne en 1998: «La découverte du célibat, non comme une attente indéterminée, mais comme un don de Dieu demande de longues années de maturation. Le célibat devient alors réponse à un véritable appel de Dieu.»
Et si on autorisait les jeunes à être des funambules? Les Églises ne pourraient-elles pas développer une pastorale du «célibat-laïque»?
Michel Nolin
Professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains
*Du 17 au 21 juin, Michel Nolin donnera un cours ayant pour titre: «La jeunesse n’existe pas… Ce sont les jeunes» (pape François).
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