Le lundi 12 décembre 2022, l’ombudsman de l’archidiocèse de Montréal dénonce de «graves manquements au devoir de confidentialité et de loyauté» au sein de la curie diocésaine. Un vicaire épiscopal, s’offusque Me Marie Christine Kirouack, dévoile les noms de plaignants et de personnes visées par les plaintes qu’elle reçoit.
Le lendemain, le mardi 13 décembre, l’ex-archevêque de Québec, le cardinal Marc Ouellet, annonce qu’il poursuit une ex-agente de pastorale pour propos diffamatoires. «J’entreprends aujourd’hui un recours judiciaire en diffamation afin de démontrer la fausseté des allégations portées contre moi et de rétablir ma réputation et mon honneur», a déclaré le préfet du dicastère pour les évêques.
Plus tard, ce même jour, un huissier remet à cette femme, connue sous le nom de F. depuis le 16 août 2022, les documents de la poursuite engagée contre elle. Son nom véritable et son adresse personnelle sont bien inscrits dans ces documents judiciaires. Dans les pièces remises aux journalistes, ces données sont cachées sous des larges traits noirs.
Qui?
Comment le cardinal Ouellet et ses procureurs ont-ils obtenu ces informations? «C’est une bonne question», répond Me Alain Arsenault du cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats. C’est ce cabinet qui a révélé, le 16 août, l’existence de F. ainsi que les gestes qu’elle reproche à un prêtre de l’archidiocèse et à l’ex-archevêque de Québec.
Me Arsenault ajoute que cette question de confidentialité de l’identité de F. s’ajoute dorénavant à toutes celles qu’il «se pose sur le processus d’enquête mis en place par le Vatican» dans cette affaire. Mais il ne souhaite pas élaborer davantage, ajoutant que son cabinet a l’intention de «répondre de manière vigoureuse», devant les tribunaux, au recours en diffamation que vient de déposer le cardinal Ouellet.
Serait-ce donc le pape François qui a dévoilé le nom de F.? Il connaît son identité véritable depuis le 26 janvier 2021. Ce jour-là, il a reçu, par l’entremise du cardinal Gérald Lacroix, le successeur du cardinal Ouellet, une lettre personnelle signée par cette femme que l’on appelle aujourd’hui F.
Dans cette lettre, rédigée à la suggestion même du Comité-conseil pour les abus sexuels envers mineurs ou personnes vulnérables de l’Église catholique de Québec, F. décrit au pape des gestes et propos malaisants que l’ex-archevêque de Québec auraient eus envers elle. Le pape aussitôt enclenche une procédure prévue dans le motu proprio Vos estis lux mundi, un document qu’il a lui-même rédigé et qui stipule comment la curie romaine et les évêques du monde entier doivent réagir sur réception d’une lettre d’une «personne qui affirme avoir été offensée».
L’article 5 de Vos estis lux mundi est très clair: les plaignants seront toujours traités «avec respect et dignité», tandis que leurs «données personnelles» doivent être protégées.
Données protégées
Présence a alors demandé au cabinet LCM Avocats, les procureurs du cardinal Ouellet, s’il pouvait divulguer «comment le cardinal et ses représentants ont obtenu le nom et l’adresse postale de F.?»
Pas de réponse. Mentionnons toutefois que la veille de cette demande, Me Dominique Ménard avait indiqué au journaliste, après lui avoir remis une copie de la requête judiciaire déposée au palais de justice de Montréal, que son équipe ne ferait plus «aucun commentaire en lien avec la procédure, par respect pour la procédure judiciaire».
Et si c’était l’archevêque de Québec lui-même qui avait remis aux procureurs du cardinal Ouellet ces données personnelles?
Le cardinal Lacroix «étant à l’extérieur», il n’a pas pu répondre directement au journaliste. Mais Valérie Roberge-Dion, son attachée de presse, a indiqué que «l’archidiocèse de Québec ne fera aucun commentaire concernant la poursuite en diffamation déposée par Monsieur le cardinal Ouellet contre F. Cette procédure a été intentée par le cardinal Ouellet personnellement et nous vous invitons à vous adresser à ses avocats pour toutes vos questions relatives à cette poursuite».
Comité-conseil
Sur la question de la confidentialité de l’identité des plaignants et plaignantes, visiblement malmenée dans l’archidiocèse de Montréal, la directrice des communications indique qu’en ce qui concerne l’archidiocèse de Québec, « on applique et respecte le protocole diocésain en place pour le traitement des allégations d’abus sexuel». L’archidiocèse a «confiance dans ce processus indépendant et confidentiel de traitement des allégations appliqué par le Comité-conseil».
Insatisfait devant cette réponse, le journaliste lui confie qu’il souhaite poser directement ses questions à ce comité-conseil indépendant. Valérie Roberge-Dion lui remet aussitôt le numéro de téléphone dédié aux personnes qui souhaitent «faire un signalement». Mais elle l’avertit toutefois que «l’équipe n’a pas pris parole dans l’espace public jusqu’à présent».
Pourtant, quelques heures plus tard, la présidente du Comité-conseil elle-même, la docteure Danielle Saucier, téléphone au représentant de Présence.
«L’équipe du Comité-conseil est vraiment tenue au respect de la confidentialité», déclare-t-elle d’abord. «C’est un engagement qu’on prend envers toutes les personnes impliquées dans les processus qu’on traite.»
Elle ajoute aussitôt qu’elle ne peut pas «commenter des dossiers spécifiques» d’autant plus que celui dont il est question lors de cet entretien téléphonique «est actuellement doublement judiciarisé». Le témoignage de F. est mentionné, depuis le 16 août, dans l’action collective contre l’archidiocèse de Québec, et maintenant dans la poursuite intentée par le préfet du dicastère pour les évêques, le cardinal Marc Ouellet.
Danielle Saucier ne craint-elle pas que des plaignants puissent hésiter, par crainte de poursuites, de contacter dorénavant son comité-conseil? Après tout, F. n’a fait que suivre son conseil, soit celui d’envoyer une lettre personnelle au pape François.
«Ce n’est pas ce qui s’est passé», réagit-elle. «C’est le recours collectif qui amène une personne [le cardinal Ouellet, qu’elle ne nomme pas] envers qui des allégations sont présentées à prendre la décision d’agir.» Toute cette affaire n’est pas «issue du tout du Comité-conseil».
Si son comité n’a rien à voir avec cette poursuite, comment explique-t-elle le fait que les procureurs du cardinal Ouellet ont eu accès au nom et à l’adresse de la plaignante? «Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question mais bien à eux», répond-elle.
Elle ajoute toutefois que «dans la ville de Québec, beaucoup de personnes identifient F. sans que qui que ce soit du Comité-conseil ou du diocèse» n’ait révélé cette information. La présidente du Comité-conseil mentionne aussi que F. a accordé des entrevues «dans les médias généraux au mois d’août» et que «des gens du voisinage» l’ont forcément reconnue.
Puis, avant de clore l’entretien, Danielle Saucier réitère son conseil: «il vous faut poser la question au cardinal Ouellet et à ses avocats».
«C’est déjà fait», pense le journaliste en raccrochant. Ne reste plus qu’à demander au pape François s’il a enfreint les règles qu’il a lui-même édictées dans le motu proprio (i.e. rédigé de sa propre main) Vos estis lux mundi.