L’écrivain Jacques Gauthier n’a rien d’un tiède. L’intensité de sa foi dépasse la mesure ordinaire. « Ravi du Christ » dès l’enfance, il gardera Dieu au cœur sa vie durant, malgré quelques traversées du désert. « J’ai risqué ma vie sur l’invisible et ne suis pas tombé dans le vide, peut-il écrire aujourd’hui à l’âge de 70 ans. À la fin, je franchirai le fil d’arrivée en dansant, car je sais que je suis attendu, aimé. »
Dans le monde catholique québécois, Gauthier est une vedette. En tant que poète et essayiste, il a publié de nombreux ouvrages bien accueillis. Théologien, il a enseigné pendant vingt ans à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, contribuant notamment à la rédaction du célèbre Prions en Église. Animateur et collaborateur de l’émission Le Jour du Seigneur de 2009 à 2014, il est devenu, par la suite, un prédicateur de retraites recherché. On connaît l’homme public, donc, mais l’homme privé, s’il a parfois témoigné de quelques expériences marquantes de sa vie dans des récits, demeurait discret.
Il se livre pour la première à fond, bien que tout en délicatesse, dans En sa présence (Novalis, 2022, 326 pages), son autobiographie spirituelle. « Ne parle de Dieu que si l’on t’interroge, mais vis de telle façon qu’on t’interroge », disait saint François de Sales. « J’espère que ma vie de foi questionne mes contemporains qui ignorent Dieu ou qui ne croient pas en lui », écrit aujourd’hui Jacques Gauthier qui, avec ce livre, propose « une longue traque des traces de Dieu dans [sa] vie ».
Gauthier, dans cette autobiographie, se raconte, bien sûr, mais il cherche surtout à témoigner de la valeur d’une expérience de foi souvent dédaignée de nos jours. « Plusieurs affirment que Dieu ne sert à rien, constate l’écrivain. Peut-être. Pourtant, quand on y croit, cela change tout. »
Des anecdotes miraculeuses
La foi de Gauthier n’est pas identique à la mienne, même si l’une et l’autre se recoupent à certains égards. Mon christianisme est d’abord une culture, dans laquelle je trouve une source inépuisable de sens, et une espérance parfois fragile. Celui de Gauthier s’exprime surtout dans une relation personnelle intense avec Dieu et dans un esprit de confiance. Ces deux expériences de la foi ne sont pas exclusives et s’entremêlent souvent, mais la dominante, chez moi, est intellectuelle, alors qu’elle est, chez Gauthier, plutôt mystique.
Je suis donc parfois perplexe devant certains passages d’En sa présence. Théologien attiré par la mystique et l’oraison silencieuse, Gauthier affirme n’être « pas friand des apparitions et de tout ce qui relève du miracle ». Toutefois, fasciné par les saints, il ajoute ne pas pouvoir « nier ces réalités » et dit vouloir « rester attentif à ce que le Seigneur veut nous dire à travers ses signes ».
Cette attitude prudente — ne pas rechercher ces manifestations extraordinaires, mais ne pas les nier trop vite — n’est cependant pas toujours respectée par Gauthier. Il évoque, par exemple, l’affaire des icônes suintantes, qui a fait la manchette au Québec en 1986, sans véritable recul critique. Il cite même sa femme qui fait un lien entre cet événement et sa première grossesse.
D’autres anecdotes semblables sont rapportées par Gauthier. Un jour, il a une impulsion intérieure lui suggérant d’aller vivre dans une maison de prière à Shawinigan. Sa femme lui dit, quelques minutes plus tard, avoir eu le même appel et la responsable de la maison de prière leur confie avoir rêvé, la nuit précédente, à leur arrivée sur place. C’est un peu fort de café, tout comme cette histoire d’accident de voiture évité grâce à l’intervention d’un ange, celle d’une pneumonie guérie par une prière à Thérèse de Lisieux et celle de la maison enfin vendue grâce à l’aide de la même sainte. Peu friand de miracles, l’ami Gauthier ? Plus que moi, en tout cas.
La résurrection du hippie
Le récit de son itinéraire existentiel m’apparaît nettement plus intéressant que ces anecdotes rocambolesques. Il montre que, même pour un homme à la foi profonde, le chemin vers le Christ n’est jamais de tout repos et relève plus d’une quête incessante que de la béatitude permanente.
Né à Grand-Mère en 1951, dans une famille très croyante habitée par une foi joyeuse, Gauthier est rapidement attiré par la vie des saints et ne se sépare jamais de son missel, premier livre fondamental de sa vie qui lui donnera le goût de la poésie.
Son adolescence, vécue à l’époque du « peace and love », jette le trouble dans sa vie. C’est l’époque, pour lui, des grands voyages sur le pouce, de la consommation de drogue et de la remise en question de ses croyances. « Je suis toujours fasciné par Jésus et son message, écrit-il, mais je le considère plus comme un prophète pacifique que [comme] le Fils de Dieu. »
En 1972, après l’échec d’une tentative de voyage en Californie, Gauthier se retrouve à Drummondville, accueilli dans la communauté de jeunes Les Apôtres de Jésus par Marie, une sorte de commune catholique. Il vivra là sa nuit mystique lors d’une prière collective. La communauté se délitera, mais l’expérience ne s’effacera pas. « J’ai vécu une véritable résurrection qui dure encore », écrit-il 50 ans plus tard.
Gauthier, je l’ai noté en commençant, ne fait rien à moitié, et la suite de son parcours l’illustre. En 1973, il joint la communauté de l’Arche, en France, animée par Jean Vanier. L’expérience le marque en lui permettant d’approfondir sa foi, d’où sa grande douleur, écrit-il, quand il a découvert « le côté sombre » des dirigeants de la communauté récemment.
Poésie et théologie
Revenu au Québec la même année, Gauthier souhaite se faire moine, mais quelques années à la Trappe d’Oka le convainquent que son charisme est ailleurs. Il se marie en 1978 — le couple aura quatre enfants — et entreprend des études en théologie. Il consacrera son mémoire et sa thèse à la poésie de Patrice de La Tour du Pin, afin d’illustrer « que la théopoésie n’est pas de la théologie en vers, mais le langage le plus apte à dire Dieu, à cause de sa dimension symbolique, qui exprime le désir sans l’épuiser, qui fait éclater le sens sans rien imposer ».
À plusieurs reprises, Gauthier parle avec éloquence du lien qui unit la poésie et la théologie. « Dieu, explique-t-il justement, ne peut pas se dire totalement dans un langage discursif et rationnel. La poésie lui offre une langue qui lui permet de nous révéler une part de son mystère. »
C’est là, quand il parle en poète théologien, que Gauthier devient original et lumineux. « Poésie et foi se nourrissent mutuellement dans ma quête du Christ », écrit-il, en précisant que la première lui « échappe sans cesse, un peu comme Dieu », et que l’une comme l’autre lui imposent de faire confiance et de plonger, dans l’espoir de voir le sens, souvent fuyant, apparaître.
Surmonter les épreuves
En 1987, Gauthier devient professeur à l’Institut de pastorale de l’Université Saint-Paul, à Ottawa. La crise de la quarantaine le frappe de plein fouet peu de temps après et affecte sa foi, qui n’est alors que « sécheresse, dégoût, doute ». Il surmonte l’épreuve en s’inspirant de Thérèse de Lisieux, à qui il consacre ensuite plusieurs ouvrages.
En 2006, nouvelle tuile : Gauthier apprend que son poste à l’université est supprimé pour des raisons budgétaires. Sa pratique de l’oraison sera sa planche de salut contre la dépression qui s’ensuit. « La foi n’enlève pas la peine, la douleur, mais lui donne un sens, une espérance », écrit Gauthier en tirant la leçon de ces crises.
Aujourd’hui avantageusement connu comme prédicateur de retraites, l’écrivain passe souvent pour un prêtre aux yeux de ceux qui connaissent mal son parcours. Quand on lui demande de quelle congrégation il fait partie, il répond, sourires aux lèvres, en disant être membre « de la congrégation des pères de famille ».
Sincérité et humilité
J’ai mentionné, précédemment, que le christianisme parfois un peu magique de Gauthier me décevait. Je tiens pourtant à dire, en terminant, que la sincérité de l’écrivain me touche. Gauthier, en effet, veut témoigner en vérité. Quand il est candide, il le dit ; quand il est dépressif, il ne le cache pas. Il se confesse, à l’occasion, de son orgueil et de diverses faiblesses. Il y a, dans ces pages, l’expression d’une humilité chrétienne qui a quelque chose d’admirable.
Ce n’est pas saint Jacques Gauthier qui témoigne ici, mais Jacques Gauthier le croyant, l’écrivain profond et délicat, l’homme en quête du Christ, surtout, qui avance en tâtonnant, qui trébuche, qui aime, qui parfois s’égare, mais qui ne cesse jamais de chercher ce Dieu « autre et différent, caché et si proche, présent au cœur de [son] être », souffle de sa vie. Jacques Gauthier n’est pas un saint, mais il est inspirant.