«Quand j’ai appris que le pape refusait de s’excuser auprès des survivants des pensionnats autochtones, j’étais très déçu», a déclaré le député Romeo Saganash. «Mais après avoir entendu ce que les évêques ont dit aujourd’hui, je peux vous dire que je suis maintenant dégoûté.»
Le député de la circonscription d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou était présent sur la colline parlementaire lorsque le président et le vice-président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) ont tenté de «clarifier les malentendus» et de corriger «l’information erronée diffusée par les médias» concernant les excuses du pape aux Autochtones du Canada.
Plus concrètement, la CECC voulait, par cette conférence de presse, influencer le résultat d’un vote sur une motion parlementaire mise de l’avant par le Nouveau Parti démocratique pour demander des excuses au pape dans le dossier des pensionnats autochtones.
Répétant en anglais sa réaction aux propos tenus quelques instants plus tôt par les évêques catholiques Lionel Gendron et Richard Gagnon, respectivement président et vice-président de la CECC, le député Saganash a expliqué qu’il était si dégoûté qu’il avait dû sortir de la salle. «J’ai cru que j’allais vomir.»
D’un ton calme, le député a ensuite déclaré que «si ce pape est pourvu d’une conscience sociale – et il l’a démontré dans d’autres contextes – il devrait s’excuser auprès des survivants des pensionnats» qui étaient sous la responsabilité de l’Église catholique. «C’est important que le pape s’excuse. C’est le morceau manquant qui nous mènera vers la réconciliation et la guérison», a-t-il ajouté.
Les évêques passent un mauvais quart d’heure
Trente minutes plus tôt, dans la même salle, les représentant de la CECC ont passé un mauvais quart d’heure devant des journalistes qui les pressaient d’énoncer plus clairement leurs positions et de dire si oui ou non le pape entendait s’excuser.
Mgr Gendron, a indiqué que les diverses «instances des organismes de l’Église catholique du Canada qui étaient directement impliquées dans les pensionnats indiens ont demandé pardon collectivement et individuellement». Ces excuses, émises bien avant la publication en 2015 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, «ont été reprises et confirmées de manière publique par le pape saint Jean-Paul II et par le pape Benoît XVI», a insisté l’évêque du diocèse de Saint-Jean-Longueuil.
«Les évêques entendent donner suite à ces demandes de pardon en lançant diverses initiatives pastorales, en s’engageant dans une démarche de réconciliation et en pratiquant un dialogue soutenu», a-t-il ajouté.
Mgr Gendron espérait «corriger un possible malentendu au sujet de la réponse du pape François» à la demande d’excuses faite par la Commission de vérité et réconciliation (CVR).
Cette réponse, c’est celle qu’il a lui-même communiquée, en tant que président de la CECC, aux communautés autochtones le 27 mars 2018. «En ce qui concerne l’appel à l’action 58, après avoir examiné attentivement la demande et l’avoir discutée abondamment avec les évêques du Canada, [le pape] était d’avis qu’il ne peut pas y répondre personnellement», avait écrit Mgr Gendron. Tous les médias ont compris que le «pape François a refusé d’exprimer des excuses aux peuples autochtones». Mais «c’est faux», a indiqué la conférence épiscopale. «Sa réponse, a expliqué aujourd’hui Mgr Gendron, ne portait que sur l’appel à l’action 58. Le pape n’a jamais décidé de se retirer d’une démarche de réconciliation qui est déjà en cours dans plusieurs diocèses canadiens.»
À plusieurs reprises, les représentants de la conférence épiscopale ont semblé patiner devant les questions des journalistes. La conférence de presse s’est terminée abruptement, tandis qu’un représentant de la presse interpellait en vain les évêques en disant que «personne ne comprend».
«Honteux»
Les représentants autochtones ont aussi estimé que les explications des évêques manquaient de clarté et de franchise. Le sénateur Murray Sinclair – qui a présidé la CVR – a qualifié de «charades corporatives» et de «fictions légales» l’un des principaux arguments de la conférence épiscopale, à savoir que la structure administrative de l’Église catholique fait en sorte que ni le pape ni elle ne peuvent présenter des excuses pour le rôle joué par l’Église catholique canadienne dans l’administration des pensionnats autochtones. Les représentants autochtones ont jugé «honteux» que les évêques se «cachent derrière» un tel argument.
Le pape, en tant que chef de l’Église catholique «a le pouvoir de faire des excuses et de répondre aux appels» de la CVR, a renchéri le néo-démocrate Charlie Angus. Le député de Timmins-Baie James s’est même permis de citer l’Évangile selon Matthieu et le symbole de Nicée-Constantinople. «Il n’y a pas eu une seule excuse faite par quelque entité de l’Église catholique qui ait reconnu la nature systémique des crimes commis. […] L’Église catholique doit reconnaître et admettre que ce système a été mis en place afin de détruire l’identité autochtone.»
«J’ai beaucoup d’espoir en François», a ajouté Charlie Angus, voyant en lui «un champion de la réconciliation et de la justice». «Il peut répondre à cet appel que lui a lancé la CVR.»
Document destiné aux parlementaires
Au début de la semaine, la conférence épiscopale avait fait parvenir aux parlementaires un document destiné à «clarifier un certain nombre d’inexactitudes qui circulent ou qui sont rapportées». Le secrétaire général de la CECC, Mgr Frank Leo, y précisait que ni le Vatican ni la CECC «n’ont jamais été impliqués dans le fonctionnement des pensionnats indiens». Le document reprenait aussi des propos de Phil Fontaine, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations à qui le pape Benoît XVI avait exprimé des «regrets» en 2009 au Vatican. Mgr Richard Gendron, archevêque de Winnipeg et vice-président de la CECC, a précisé que lors de cette rencontre entre le pape Benoît XVI et des Autochtones, Phil Fontaine avait déclaré que «cette visite au Saint-Père ferme le cercle de la réconciliation».
Un journaliste a alors fait remarquer à Mgr Gagnon que le chef Fontaine avait déclaré le 17 avril 2018 que les évêques catholiques faisaient de la désinformation en utilisant des propos prononcés il y a près de dix ans. Personne à l’époque ne connaissait l’ampleur des crimes commis dans les pensionnats autochtones administrés par les diverses Églises canadiennes, ce qu’ont mis en lumière les travaux menés par la CVR, a-t-il expliqué en apprenant que la CECC avait repris ses mots dans son document destinés aux parlementaires canadiens.
Ces conférences de presse et la distribution de ce document interviennent quelques heures avant que le député Charlie Angus ne dépose à la Chambre des communes une motion qui demande au pape, au nom de l’Église catholique, de présenter des excuses aux survivants et aux familles des victimes des pensionnats autochtones.