Elle est devenue l’été dernier la première femme à être élue au poste de primat de l’Église anglicane du Canada. Une élection qui survient dans un contexte où les défis complexes s’accumulent pour l’anglicanisme canadien, qui doit composer avec son héritage colonialiste et une sécularisation croissante.
Rencontrée dans le Vieux-Québec alors qu’elle prenait part au synode du diocèse anglican de Québec, Linda Nicholls parait souriante et sereine. Vêtue d’un élégant chandail, seul un pendentif épuré en forme de croix laisse devenir son rang. Elle aborde avec calme les divers dossiers épineux qui concernent l’avenir de l’Église anglicane du Canada, à commencer par des données compilées au niveau national qui prédisent la mort de l’Église d’ici 2040.
«Toute l’Église est en train de voir un changement», convient-elle. «Une partie de cela est dû au changement social, à la sécularisation. Et bien sûr, le Québec a été sécularisé beaucoup plus longtemps et plus profondément que la plupart des autres provinces.»
Elle rappelle que dans les autres provinces canadiennes, ce sont souvent des anglicans qui occupaient des postes importants, notamment en politique. «Je crois qu’ils ont eu une impression disproportionnée de leur propre importance et de leur propre héritage», analyse-t-elle.
Une impression qui change radicalement depuis qu’ils réalisent qu’ils font aujourd’hui partie d’une minorité, une position qu’ils découvrent comme «n’étant pas confortable».
«Le deuil [de cette position dominante] est encore très fort. Or il faut surmonter ce deuil et se demander: ‘Ok, maintenant, comment devrions-nous vivre?’», explique-t-elle, précisant qu’il est illusoire de croire que la situation pourra devenir comme elle était avant.
À cet égard, elle croit que les statistiques dévoilées par les hautes instances de l’Église concernant son éventuelle disparition d’ici 2040 sont avant tout le «reflet d’un moment particulier». «Beaucoup d’entre nous ont l’intention d’être ici dans 20 ans et je n’ai pas l’intention de quitter l’Église anglicane!», réagit-elle en souriant.
Elle note que cette nouvelle réalité a donné lieu à beaucoup de spéculations sur les causes. Autrement dit, comment l’Église en est-elle arrivée là.
«Pourquoi cela s’est-il produit? Vous pourriez passer beaucoup de temps à vous prendre la tête sur le ‘pourquoi’. Parmi les raisons, je pense qu’il y a sécularisation de la société – je pense que la société canadienne est de plus en plus sécularisée, elle l’a été au Québec mais les autres endroits sont en train de la rattraper. Pour les anglicans, je pense que nous pensions grandir, avoir des bébés anglicans et que c’est ainsi que nous survivrons. Ce n’est tout simplement pas vrai», dit-elle.
«Nous devons nous poser une nouvelle question: qu’est-ce que cela signifie de partager la foi qui est en nous? La question la plus importante n’est donc pas le ‘pourquoi’ du passé, mais ce que nous sommes appelés à faire et à être maintenant. Ce que nous sommes appelés à faire et à être, c’est être fidèles à l’Évangile. Que cela mène ou non à la croissance, nous ne le verrons peut-être pas», répond-elle.
Un héritage colonialiste
N’empêche, le passé glorieux – et moins glorieux – de l’Église n’est pas loin derrière. À travers le monde, l’implantation de l’anglicanisme s’est souvent fait sur fond de colonialisme britannique.
Sur cette question, elle se rappelle de réunions tenues il y a quelques années en compagnie d’anglicans de la Jamaïque et de Hong Kong.
«Avec le Canada, ce sont trois régions du monde colonisées par les Britanniques, dit la primat. L’héritage de la colonisation au Canada est que nous étions le peuple au pouvoir, les colonisateurs. Ce sont les Britanniques qui détenaient le pouvoir. En Jamaïque, ceux qui ont été colonisés sont noirs, ils faisaient partie du mouvement esclavagiste, et pour eux la colonisation était donc l’oppression. Pour Hong Kong, la colonisation a apporté la prospérité économique, il n’y a donc pas d’antipathie envers l’Église d’Angleterre. Notre héritage de colonisation est donc différent selon l’endroit où vous avez vécu.»
Elle fait toutefois remarquer qu’en chaque lieu, l’anglicanisme a développé de profondes racines et qu’il a revêtu des aspects culturels différents.
«L’Église de Hong Kong est profondément enracinée dans la justice sociale et la prise en charge des pauvres et des marginalisés dans leur communauté, dit-elle. En Jamaïque, l’anglicanisme fait partie intégrante de la culture, mais ils n’ont certainement pas été aux prises avec les mêmes problèmes de sexualité que, par exemple, le Canada.»
Premières Nations
Parmi ces héritages ambivalents, les relations avec les peuples autochtones ont beaucoup préoccupé l’Église anglicane canadienne ces dernières années, alors que des efforts soutenus ont été déployés pour tenter de réparer les torts causés, à commencer par le dossier des pensionnats autochtones.
«C’est un long, long voyage. Nous n’en sommes qu’au début», reconnait la primat.
En juillet dernier, lors du Synode général de l’Église, son prédécesseur, Mgr Fred Hiltz, a présenté des excuses pour les préjudices spirituels causés aux peuples des Premières Nations. De premières excuses avaient été présentées en 1993 de la part de Mgr Michael Peers, qui était alors primat.
«Ce sont des points de départ, croit Mgr Nicholls. Mais les aînés qui ont reçu ces excuses ont dit qu’elles n’auront d’effet que si elles sont suivies d’actions.»
Le Synode général de l’été dernier a aussi avalisé la création d’une église autochtone autonome au sein de l’Église anglicane du Canada. Le Conseil anglican des peuples autochtones deviendra une sorte d’organisme dirigeant pour cette Église, formant «une Église dans l’Église».
«L’élaboration de la façon dont cela sera gouverné et comment cela s’appliquera aux diocèses actuels va être une question permanente. Il s’agira probablement d’une forme de démo-citoyenneté, où les Autochtones seront membres de l’Église autochtone autodéterminée, mais aussi du diocèse dans lequel ils vivent et résident», détaille Linda Nicholls.
«Mais [déterminer un mode de gouvernance] sera un défi pour eux, en raison de la diversité des peuples autochtones. Ils tiendront un cercle sacré l’été prochain, en juin, pour commencer à mettre en place une constitution et une gouvernance, en utilisant les modes de vie constitutionnels autochtones, sans présumer d’un processus parlementaire canonique de type ouest-européen, comme nous le faisons habituellement.»
Elle rappelle par ailleurs que le travail de réconciliation doit s’accompagner d’efforts soutenus pour faire évoluer les mentalités.
«Ce que j’ai demandé d’examiner à l’Église dans son ensemble, et qui touche profondément les peuples autochtones, est le démantèlement du racisme. Je ne pense pas que nous en ayons fait assez pour lutter contre le racisme qui existe dans notre Église et notre pays et qui continue d’affecter les peuples autochtones», regrette-t-elle.
Place des femmes
La primat est confiante que son Église peut évoluer sur cette question, comme elle a été en mesure de le faire sur la place des femmes en son sein depuis quelques décennies.
Quand elle est devenue évêque en 2008, le collège épiscopal canadien ne comptait que trois femmes. Aujourd’hui, c’est le tiers des 42 évêques anglicans qui sont de sexe féminin, un «déplacement énorme» se réjouit-elle.
Il a fallu un peu de temps pour que la situation évolue. Elle se rappelle que lorsqu’elle a été ordonnée à la prêtrise, le prêtre en charge de la paroisse où elle se trouvait avouait ses réticences en disant qu’il ne parviendra jamais à s’habituer à entendre la liturgie être chantée une octave plus haut.
«Je pense que la plus grande partie de ces réticences ont disparu. Mais il en reste toujours quelque chose», reconnait-elle. «Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un grand problème, bien qu’il s’agisse toujours d’une conversation en cours.»
Elle affirme toutefois sentir une tiédeur persistante au niveau des postes à responsabilité.
«Je pense qu’il y a encore une résistance à l’idée que les femmes occupent des postes de haute direction», affirme-t-elle.
A-t-elle eu à affronter directement ces résistances?
«Je suis de grande taille», commence-t-elle par répondre. «Une très petite femme aura plus de difficulté à être perçue comme ayant de l’autorité et un leadership spirituel en raison de sa taille.»
Elle a croisé au fil des ans diverses clercs de petite taille qui faisaient état de difficultés de cette nature.
Délaisser l’attentisme
Or, fait-elle valoir, c’est l’ensemble de l’Église qui est appelée à se questionner sur ce qu’elle doit être. Qu’il s’agisse de la place de la langue, des Autochtones ou des femmes, elle doit tenir compte de la réalité des communautés.
«Si vous êtes assis dans une communauté qui compte 90% d’aînés et que vous vous demandez pourquoi il n’y a pas de jeunes dans l’église, vous posez la mauvaise question. Vous devez vous demander qui sont les gens parmi qui nous vivons, quelles sont les questions qu’ils se posent sur l’espérance, sur le sens, sur la foi, sur la vie et quelles sont les manières dont nous pourrions partager quelque chose sur l’espérance qui est en nous», défend-elle.
Cela nécessite une manière d’être qui «force» les anglicans à sortir de leurs églises, plutôt que d’y rester dans une posture attentiste.
«En fin de compte, l’Église c’est la communauté rassemblée du peuple de Dieu, partageant la Bonne Nouvelle et se demandant comment la vivre dans la vie quotidienne», poursuit-elle. Un processus qui pourrait fort bien nécessiter d’accorder moins d’importance aux bâtiments, qui incarnent pour plusieurs «les préjugés et stéréotypes» au sujet de la foi chrétienne.
«Pour que les gens puissent en faire l’expérience à nouveau, il se peut qu’ils aient à le faire à travers une rencontre directe avec quelqu’un pour qui la foi est une réalité vivante. Et c’est une bonne chose! Je pense que c’est excitant, je pense que c’est positif. Cela nous donne une opportunité. Vous devez surmonter le chagrin de ce qui a été perdu, peut-être le chagrin de l’édifice», exhorte-t-elle.
«Nos défis, nos statistiques déclinantes, ce sont des avertissements nous invitant à nous poser les nécessaires questions plus profondes sur la manière dont nous vivons l’Évangile et dont nous le partageons avec espérance, énergie et foi.»
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