La semaine passée, je suis tombée, au hasard de mes occupations, sur une entrevue menée par Gérald Fillion à la télévision de Radio-Canada. Il interviewait Phyllis Lambert. Dans cette entrevue lumineuse, madame Lambert racontait son échec de ne pas être intervenue lors de la démolition, en 1971, de la maison Prince de Galles sur la rue Sherbrooke, une construction constituée de maisons prestigieuses dont la façade uniforme en pierre calcaire de Montréal présentait une architecture classique d’inspiration grecque. Cette magnifique maison avait alors été remplacée par une charpente en béton armé qui allait porter le nom de son père. Pour elle, cette démolition, pour laquelle elle n’a pas pu intervenir, reste un échec et la hante encore aujourd’hui.
Frappée par la réflexion de cette grande dame, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec ce qui se passe autour du cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR).
Pourquoi des personnes s’en prennent-elles avec autant de désinvolture et de rapidité à ce cours qui a pourtant été longuement mûri par des intellectuels comme Georges Leroux, humaniste et penseur exceptionnel? Veut-on faire taire un lobby de personnes allergiques au phénomène religieux? Veut-on répondre aux dictats d’une société néolibérale préoccupée de former des citoyens aux recettes faciles et rapides à tous les problèmes? Ces nombreux problèmes, le ministre a même proposé qu’ils soient tous étudiés par les enseignants du futur cours: questions technologiques, sexuelles, politiques, numériques, psychologiques, sociologiques, environnementales.
Dans les temps de crise où le changement risque d’être douloureux, la patience et la réflexion ont toujours été le secret d’une sagesse éclairée. Rainer Maria Rilke ne disait-il pas: «À force de porter la question, on entre peu à peu dans la réponse»? S’il faut améliorer le programme, qu’on le fasse prudemment, en consultant les enseignants, pas à coup de décrets ministériels et de sondages. Ironiquement, la patience nécessaire à l’amélioration d’un programme est précisément celle que cultive le cours qu’on assiège. Ainsi, le programme d’ÉCR prépare précisément nos jeunes à cela en les encourageant à répondre de manière rigoureuse à des questions éthiques et en les amenant, avec un esprit critique, à une compréhension du phénomène religieux.
Dans ces temps de crise où nous voulons faire vite, rappelons-nous que le cours d’ÉCR a été la réponse à un long processus de déconfessionnalisation des écoles québécoises, une réponse qui se fonde sur deux finalités: 1) la reconnaissance de l’autre et 2) la poursuite du bien commun. Dans un monde de plus en plus diversifié, il me semble que le cours, par ses deux finalités, offre une véritable réponse à notre société devenue laïque. Ces différentes visions du monde suggérées par le cours – et qu’on pourrait certainement revisiter – peuvent permettre cela.
J’ai la certitude que les acteurs principaux de cette réforme devraient être tous ceux qui ont d’abord pensé ce cours, mais aussi tous ceux qui travaillent d’arrache-pied pour le faire vivre à leurs élèves.
Voudrons-nous entendre tous ces éducateurs qui constatent, au quotidien, que proposer différentes visions du monde (athées, religieuses, philosophiques, etc.) permet une remarquable ouverture sur un questionnement fondamental? Voudrons-nous encore les entendre nous dire qu’enseigner les grandes religions et les thèmes qui s’y rattachent (les arts, l’expérience spirituelle et religieuse, les grandes questions existentielles, le patrimoine religieux) donne des outils exceptionnels pour vivre dans un monde de plus en plus diversifié? Aurons-nous l’oreille assez attentive pour saisir que la paix et la tolérance passent nécessairement par la connaissance de l’«autre» et que rester dans l’ignorance donne lieu à des exclusions de tout acabit?
Enseigner les religions avec leurs richesses et leurs dérives comporte un certain nombre de défis auquel les enseignants d’histoire ne pourraient pas toujours répondre. Il en va de même de l’éthique, où l’on ne parle pas tant, comme l’histoire ou la sociologie, de ce qui a été fait ou de ce qui est fait, mais de ce qui devrait être fait et pourquoi. Chacun ses compétences! Le danger de la suggestion du ministre pourrait être de tomber dans une analyse plutôt négative des religions, ce qui pourrait s’avérer être un exercice intellectuel plutôt malhonnête. Il y a aussi un risque à ce que l’on convertisse l’éthique en une histoire ou une sociologie des comportements.
Quand on arrivera à ce cours, que d’aucuns entrevoient déjà comme un «fourre-tout», on finira par l’abandonner tout comme on a fait avec le cours de Formation personnelle et sociale (FPS). On finira par comprendre qu’un enseignant en ÉCR ne peut pas jouer le rôle du légiste, du psychologue, du sexologue, de l’écologiste, du technicien en informatique. C’est la recette de toutes abolitions: détériorer puis éliminer.
Je continue de porter la question: qu’arrivera-t-il avec le cours d’ÉCR qui fait l’envie de bien des sociétés occidentales un peu partout dans le monde? Referons-nous l’erreur qui a fait dire à Phyllis Lambert qu’elle a vu dans la démolition de cet édifice un échec important qui la hante encore aujourd’hui? Les Québécois sont souvent forts dans la destruction de leur propre trésor…
Christine Cossette
Enseignante, Éthique et culture religieuse