*Présence publie des lettres ouvertes en lien avec l’actualité. Les opinions exprimées dans ces lettres n’engagent que l’auteur.*
De société distincte à uniformisée: se distinguer dans l’uniformité. Quel paradoxe! La politique culturelle, au Québec, s’avance sur des chemins bien étranges depuis quelques années. Alors qu’elle prétend travailler à la sauvegarde de la culture québécoise comme société distincte, elle semble plutôt chercher des manières de l’uniformiser: test des valeurs, loi sur la laïcité, refus des signes religieux, même les cloches d’église sont devenues suspectes dans certains quartiers. Agissant ainsi, la société québécoise, loin d’assurer et d’assumer sa distinction, la fait disparaitre dans un nivelage culturel qui a de quoi laisser perplexe.
Même si le dire semble une lapalissade, la différence se valorise en ce qu’elle est différente. Dans un rapport mercantile, ça n’a jamais été «le plus grand nombre de pareil» qui a fait faire des affaires en or. Ce n’est donc pas en uniformisant le Québec qu’il demeurera distinct. Au contraire! En s’attaquant ainsi aux différences, le Québec s’engage dans un prosélytisme bien plus religieux que celui qu’il condamne, et ce, malgré ses prétentions laïques. Sa peur de disparaitre le pousse à reproduire, à l’égard des autres, un traitement assimilateur dont il s’est pourtant fait l’un des ardents dénonciateurs.
Nous le savons, la culture ne s’élabore pas en vase clos. Elle nait de la rencontre. Nous avons besoin de l’autre et de sa différence pour continuer d’exister. Sans rapport d’opposition, comment savoir ce qui est doux ou amer, salé ou sucré, jour ou nuit? La culture s’affine, se raffine et évolue dans la confrontation des diversités. L’aplanir revient à participer à son propre génocide. Risquer la diversité permet ainsi de risquer l’inconnu de la maturation; celle que connait tout peuple à travers les siècles.
Le nivellement culturel dans lequel nous pataugeons n’a cependant rien d’exclusif à la politique québécoise. La différence dérange, et se distinguer par la non-différence, par l’aplatissement de la différence, semble devenir une revendication de plus en plus courante. Prônant le droit à la disparité, de plus en plus d’individus revendiquent leur distinction en passant par l’uniformisation: tous comme moi! Pourtant, tout individu se forme, se développe et grandit sur la base des différences qu’il porte en lui. Une différence qu’il aura la possibilité d’intégrer dans la poursuite d’un bien commun. C’est ce qu’on appelle vivre en communauté. Ainsi, plus je reconnais la différence de l’autre, plus je suis à même de percevoir ma propre exclusivité et de goûter le plaisir d’apporter ma contribution au bien commun.
Le concept de société distincte demeure toutefois interpellant dans ce débat. Riche de notre expérience, il serait intéressant de le repenser à la lumière de notre histoire et de ce que nous vivons aujourd’hui. Si le Québec a évolué vers cette idée, c’est qu’il est bien au fait des blessures que peuvent causer les atteintes à la dignité culturelle. Aussi, pourquoi ne pas user de cette expérience avec sagesse pour réfléchir et élaborer une véritable société distincte? Une société qui soit riche de sa diversité, misant sur elle et travaillant avec elle; allant au-delà des facteurs de surface que sont les accommodements raisonnables, les ratios d’intégration des minorités visibles ou toutes tendances à la ghettoïsation d’une charmante folklorisation. Le droit d’être ce que je suis, comme individu ou comme peuple, c’est d’abord le devoir d’assumer ce qui distingue sans désir de fusionner l’autre en soi.
Éric Laliberté
Doctorant en théologie, spécialisé en études pèlerines
Université Laval