*L’auteure de cette lettre réagit au texte Autochtones – Entrevue avec le cardinal Lacroix. «C’est le temps de dire que oui, nous avons été complices de ça».
L’ampleur des conséquences des écoles résidentielles a frappé de plein fouet les Canadien.ne.s et les catholiques lors de la découverte des nombreuses sépultures d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats. Quoique c’était bien connu grâce à la Commission de la vérité et réconciliation du Canada et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, plusieurs n’avaient pas encore pleinement ressenti et compris le génocide engendré par la Loi sur les Indiens (1876) et réalisé par des Églises chrétiennes. Il s’ensuit une véritable crise identitaire : comment concevoir l’identité canadienne de grand défenseur des droits de la personne et de la paix ? Comment réconcilier le message d’amour du christianisme avec des actes de mort et de mépris ? Soudainement, nous devons digérer tout cela « sous pression » puisque les actes de réconciliation avec les Premières Nations, Inuit et Métis ne peuvent plus attendre. Les Autochtones ont une longueur d’avance pour assimiler le tout : cela fait 150 ans qu’ils vivent les conséquences de cette politique et de ces écoles.
Je vous partage un autre récit qui m’a particulièrement marqué. Dans une scène de la série télévisée Suits (saison 7, épisode 6), un avocat de grande envergure, Litt, est l’objet d’une poursuite pour harcèlement sexuel. Le récit suscite de la compassion pour ce personnage qui perdra tout si la plainte suit son cours. L’intrigue de ce récit est intéressante, parce que l’avocat sait bien que s’excuser signifie reconnaître sa responsabilité et l’expose juridiquement à des graves conséquences. Grâce à l’aide et aux conseils d’une collègue dévouée, Litt en arrive à demander pardon à l’avocate Stephanie avec une profonde sincérité. Celle-ci décide alors de retirer sa plainte. La scène transmet la valeur profonde de l’humanité et de la considération pour l’autre comme la meilleure façon de réparer des torts considérables. En fait, c’est son manque d’humanité à l’origine même de cette plainte. Un surcroît d’humanité ne peut qu’en être la solution.
Pour moi, cette analogie explique le dégoût et la colère de nombreux Canadien.ne.s. Le rôle de l’Église catholique du Canada sera certainement clarifié dans l’avenir, mais nous savons déjà que des abus physiques et sexuels ont été commis contre des enfants autochtones par des prêtres, religieux et religieuses qui agissaient au nom de l’Église catholique et de Dieu. Les récits des survivants des écoles résidentielles parlent de meurtres, de privation par la nourriture, de diverses formes de punition cruelles et inhumaines pour éradiquer les cultures et les langues autochtones. Nous savons que ce n’est pas exclusivement la pression du gouvernement du Canada et de ses inspecteurs qui expliquent ce génocide. Et nous savons aussi que le gouvernement du Canada n’aurait pu pleinement réaliser la vision de la Loi sur les Indiens sans l’Église catholique.
Là où le bât blesse, c’est que l’Église catholique fait l’opposé de l’avocat Litt. L’Église catholique du Canada reste cramponnée à ses positions en reconnaissant du bout des lèvres sa « complicité » dans ses crimes et se réfugie plutôt dans les juridictions canoniques et civiles. S’armer de lois canoniques et civiles pour défendre la position actuelle sur les pensionnats indiens me fait penser à une leçon de théologie : le droit canonique est au service de la théologie (ou de la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus) et non l’inverse. Il me semble que la collégialité et la synodalité des évêques, ainsi que le rôle pastoral des évêques devraient primer sur les lois canoniques. Contrairement à l’avocat Litt, le manque d’humanité passé (qui s’appelle aussi génocide dans les termes des Nations Unies) rencontre un manque d’humanité très actuel. Cela accroît le désarroi et la colère de tant de personnes au Canada.
Dans l’entrevue réalisée avec le cardinal Gérald Lacroix, il affirme : « Parce que les gens ne sont pas en mode écoute actuellement. Il y a trop de souffrances, trop de blessures. C’est pas le temps. Il y aura un temps où l’histoire mettra en lumière la vérité et donnera les nuances nécessaires ». Cette vérité est pourtant essentielle à la réconciliation et est demandée ardemment par les représentants des Premières Nations, Inuit et Métis depuis plusieurs décennies. En décembre 2021, leurs représentants veulent demander au pape de rendre disponibles toutes les archives du Vatican relatives aux pensionnats. Selon les principes de réconciliation de la CVR, l’un des énoncés : « La réconciliation est un processus de guérison des relations qui exige un partage de la vérité, des excuses et une commémoration publics qui reconnaissent et réparent les dommages et les torts du passé ». Plus je lis à ce sujet, plus je constate que les émotions vives sont causées par le manque de vérité et de transparence de l’Église catholique. Ces enfants disparus et décédés manquent toujours cruellement aux Premières Nations. Sans la vérité, la réconciliation et la guérison n’est pas possible. Cela voudrait-il dire que l’Église catholique du Canada ne souhaite pas pleinement vivre cette réconciliation ?
Chaque jour, nous sommes exposés à davantage de nouvelles qui suscitent encore plus d’horreur envers l’Église catholique du Canada. Dans plusieurs articles, dont celui-ci de la CBC, nous apprenons tristement la stratégie du leadership catholique pour ne pas soutenir la CVR. Ainsi, pour s’échapper d’une entente à rabais, les représentants de l’Église catholique payent à grand frais un avocat pour démontrer qu’ils ont fait tous les efforts possibles pour collecter les fonds convenus. Quand nous connaissons les capacités financières de l’Église catholique et les investissements faits ces 10 dernières années, plusieurs sentent bien une hypocrisie flagrante et le peu de valeur accordée aux Autochtones. Seuls 4 millions $ des 25 millions $ promis ont été remis à la Commission. Encore une fois, la colère suscitée par ce manque de cohérence est bien justifiée et fondée. Tel que le mentionnait un archevêque à un événement auquel j’assistais, nous pouvons déduire efficacement la mission et la vision d’une organisation à travers ses états financiers.
Vous pensez que les évêques catholiques du Canada ne peuvent faire autrement ? Je vous invite à lire la lettre des évêques de France aux catholiques sur la lutte contre la pédophilie. L’Église unie du Canada, responsable de 15 écoles résidentielles, trace aussi la voie depuis 35 ans et est un exemple remarquable pour l’Église catholique.
Depuis plusieurs semaines, je ressens beaucoup de colère. L’émotion de la colère parle de nos valeurs, de ce qui compte pour nous. Jusqu’à la lecture des propos du cardinal Lacroix, je pensais que j’avais peur de perdre les dernières traces de Jésus dans cette institution qui m’était chère. Non, maintenant je réalise que j’ai peur de perdre l’Église catholique du Canada tout court. En ne demandant pas pardon et n’agissant pas en conséquence, l’Église catholique du Canada va tout perdre, comme cet avocat qui était à deux doigts de perdre sa carrière et sa réputation.
Julie Tanguay, B.Th, M.A. (Th)