La haine observée dans l’attaque au camion-bélier de London en Ontario le 6 juin dernier m’attriste profondément. Elle me rappelle à quel point le respect de la différence est difficile et mène parfois à une totale dégradation de la liberté et du droit fondamental de l’autre à vivre librement.
Ce qui est troublant, ici aussi, c’est l’attaque directement menée contre la liberté religieuse associée à ce crime haineux. Un jeune homme décide d’éliminer des personnes parce qu’elles sont d’une différente confession religieuse. Une constatation très simple, mais qui, au Canada, un pays reconnu pour son désir de faire du vivre-ensemble un art et pour son attachement au respect des différences, n’aurait jamais dû survenir.
Le pays n’est assurément pas le seul dans le monde à être touché par ce phénomène observé ces dernières années par nombre d’experts, et ce, que ce soit dans les sociétés bouddhistes, chrétiennes, hindouistes, musulmanes ou même laïques et athées. Il semble bien que les minorités, dont les religieuses, soient ciblées par des attaques un peu partout.
Liberté religieuse : atout précieux
Avant d’aller plus loin, il est primordial de rappeler que la liberté religieuse, telle qu’enchâssée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, est avant tout une question de liberté intrinsèque à l’être humain. Voici l’Article 18 :
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
Ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté religieuse et de conviction, le professeur allemand Heiner Bielefeldt écrit dans notre Rapport 2021 sur la liberté religieuse (le 15e depuis 1999) : « La liberté de religion ou de conviction est un « bien précieux ». Cette formulation… est devenue l’une des citations standard de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour souligne que la liberté religieuse, outre sa signification évidente pour les fidèles de diverses religions, est indispensable pour façonner une coexistence respectueuse au sein d’une démocratie moderne. Ce n’est ni un luxe ni un privilège. Pour citer la Cour, la liberté de religion ou de conviction est « l’un des fondements d’une société démocratique ».
La liberté religieuse et de conviction n’est pas banale : elle fait partie de la nature même de la liberté humaine. D’ailleurs sans elles, les sociétés du monde ne risquent-elles pas de devenir de petites ou de grandes dictatures dans lesquelles une pensée unique et formatée soutiendra une société homogène qui risque, sans aucun doute, de tomber dans la haine de la différence… possiblement religieuse ?
Liberté mal en point
Aide à l’Église en Détresse (AED) observe qu’entre 2018 et 2021, il y a eu une attaque claire à cette liberté dans plus de 62 pays, sur les 196 observés dans le nouveau Rapport sur la liberté religieuse 2021. De ce nombre, 36 pays pratiquent de la discrimination et 26 de la persécution, basée sur l’appartenance religieuse ou bien la conviction.
Le continent le plus touché par ce phénomène est l’Afrique dans 23 pays sur 54. Dans 12 pays, la violence est extrême. On n’a qu’à penser au Burkina Faso qui, jusqu’en 2015, était un modèle de coexistence entre sa majorité musulmane et ses minorités, dont font partie les chrétiens.
Le phénomène de l’extrémisme islamiste fait partie des trois principales menaces à la liberté religieuse avec les gouvernements autoritaires et le nationalisme ethnoreligieux. Dans le monde, la Chine et l’Inde sont respectivement les champions de ces deux autres phénomènes. Dans l’Empire du Milieu, la surveillance électronique est encore plus intense que dans la fiction de George Orwell, 1984. Ayant d’abord servi à mieux contrôler les musulmans ouïghours, les autorités dirigent maintenant cette surveillance ultrasophistiquée et très efficace vers d’autres traditions religieuses. Ainsi, des caméras sont maintenant installées dans certains lieux de cultes afin de bien voir qui les fréquente. Après une ouverture au fait religieux au début des années 80, le parti communiste renoue donc avec force avec l’athéisme officiel.
En Inde, ce sont les traditions non hindoues qui sont de plus en plus visées, notamment les musulmanes et chrétiennes. Intimidations, violences physiques et verbales, embûches administratives : voilà le lot de ceux qui osent croire autrement au pays de Gandhi.
Persécution polie
Par ailleurs, la persécution polie devient de plus en plus importante dans de nombreux pays occidentaux. Une persécution décrite par le pape François comme étant « déguisée en culture, déguisée en modernité, déguisée en progrès ».
L’un des exemples les plus probants de cette nouvelle tendance est celui du refus d’objection de conscience pour les praticiens de la santé, en particulier pour la question de l’euthanasie. En 2019, une déclaration multiconfessionnelle de gens provenant de traditions monothéistes et se déclarant contre l’euthanasie et l’aide médicale au suicide a été présentée au pape. On a voulu y affirmer « qu’aucun professionnel de la santé ne devrait être forcé ou poussé à aider directement ou indirectement à causer la mort délibérée et intentionnelle d’un patient… surtout lorsque cela est contraire aux croyances religieuses du professionnel ». C’est un appel pour que l’objection de conscience — donc la liberté religieuse et de conviction — soit respectée.
Inconfort ? Certes, mais…
Au Canada, l’inconfort vis-à-vis du religieux peut se comprendre. Bien des gens ne se sentent plus interpellés par les traditions religieuses ou bien les considèrent tout simplement comme dépassées. D’autres y voient une menace à leur propre héritage chrétien, surtout quand il est question des traditions issues de l’islam.
Pourtant, nous ne saurons sortir d’une logique de méfiance et de haine que si nous osons le dialogue, l’éducation, l’écoute de l’autre et que nous savons retrouver l’art de débattre en tout respect. J’ai trop souvent l’impression ces dernières années que ces valeurs — essentielles à la liberté elle-même ! — sont les parents pauvres de nos sociétés d’hyperconsommation.
L’après-pandémie nous permettra-t-elle de sortir de nos polarisations réductrices afin de revenir à la rencontre de l’autre avec du respect et une écoute véritable ? Je le souhaite de tout cœur. Car, la liberté religieuse – et toutes les libertés humaines – ne sont durablement acquises que dans le respect de ces conditions.
Marie-Claude Lalonde
Directrice nationale, Aide à l’Église en détresse Canada