Cette année, les Québécois musulmans, comme les autres musulmans à travers le monde, célèbrent le mois sacré du ramadan pour la deuxième fois dans la restriction. Durant le ramadan l’année dernière, les mosquées, comme les autres lieux de culte étaient fermées. Cette année, elles sont ouvertes avec une restriction de 25 fidèles en même temps en respectant la distanciation et toutes les autres règles sanitaires. Le couvre-feu limite d’avantage cette ouverture partielle parce que les fidèles se voient privés de deux prières sur les cinq prières quotidiennes obligatoires.
Les Québécois de confession musulmane ne sont pas seulement privés de certaines pratiques religieuses, mais ils sont surtout privés de l’ambiance sociale et festive qui caractérise le mois de ramadan. À mon sens, pour le commun des musulmans, c’est la deuxième privation qui fait plus mal que la première. Je m’explique. L’islam est une religion pragmatique. Si le musulman ne peut pas accomplir une obligation religieuse à cause d’une force majeure, cette obligation tombe ou sera altérée selon les circonstances. Les mosquées sont moins accessibles, donc les fidèles peuvent faire la prière à la maison sans aucun problème. Pour les musulmans, Dieu est omniprésent. Leur relation avec Lui est directe. Ils n’ont pas besoin d’un intermédiaire comme un imam ou autre. Il n’y a pas de clergé en Islam. Les imams sont supposés être des hommes de savoir et pas nécessairement d’autorité. Le fidèle en islam est redevable devant Dieu et non pas devant un imam ou autre autorité religieuse. Conséquemment, la prière à la maison en temps de confinement est aussi valable que la prière à la mosquée.
Quant à l’hygiène, il y a 1400 ans, le Prophète a dit: l’hygiène fait partie de la foi. Tous les livres de la théologie musulmane commencent par le chapitre de l’hygiène, la propreté de l’âme, du corps, des vêtements, et des lieux. Il y a cinq prières obligatoires par jour; or avant de faire sa prière, un musulman doit se laver, sinon sa prière n’est pas valable. Quant à la quarantaine, le Prophète a dit aux fidèles: si la peste (on peut lire pandémie) se manifeste dans un territoire, ceux qui sont dans ce territoire ne doivent pas en sortir, et ceux qui sont à l’extérieur ne doivent pas y entrer. Le principe de base de cette règle est le caractère sacré de la vie humaine. La personne qui ne respecte pas les consignes de distanciation sociale pendant ce temps d’épidémie met sa vie et la vie d’autrui en danger. Il se trouve à causer indirectement un meurtre ou un suicide ou les deux. Or le suicide et le meurtre sont interdits en islam.
Plusieurs leaders religieux musulmans, ici et ailleurs, ont appelé les fidèles à se faire vacciner. Ils ont émis des directives spécifiant que le vaccin ne brise pas le jeûne. Plusieurs mosquées au Québec ont offert leurs services pour être des centres de vaccination.
Comme on voit, l’impact du confinement sur les pratiques musulmanes d’un point de vue strictement religieux n’est pas aussi négatif qu’on peut imaginer. C’est surtout l’impact sur l’atmosphère festive et sociale qui affecte la vie des musulmans pendant le mois de ramadan. Pendant ce mois sacré les gens ont l’habitude de magasiner, de se rassembler et, surtout, de s’inviter les uns les autres et d’offrir tous les soirs des soupers de fêtes. C’est rare qu’une personne ou une famille brise le jeûne seul. Les rues, les restaurants et les cafés sont bondés durant les nuits du mois de ramadan et cela jusqu’à l’aube, l’heure à laquelle on commence le jeûne. Les mosquées sont pleines pendant les nuits de ramadan où les fidèles font leur prière nocturne qu’on appelle en arabe Tarawih. La prière de Tarawih même si elle est recommandée, n’est pas obligatoire et le fidèle peut très bien la faire à la maison. Mais on est privé de l’atmosphère de fraternité et de camaraderie que la mosquée offre. On se trouve privé aussi des soupers communautaires qu’on organise dans les mosquées, surtout pendant les soirs du ramadan, ce qui aide à développer l’esprit de la solidarité communautaire. Le ramadan étant pour les musulmans un mois de spiritualité, de générosité et de solidarité, plusieurs mosquées ont remplacé cette année, et l’année dernière, l’organisation de soupers communautaires par la distribution de repas gratuits aux personnes qui en ont besoin, musulmanes et non musulmanes. La fête de la fin de ramadan arrive dans quelques jours. Les familles et surtout les enfants seront privés de la joie et du bonheur que cette fête a toujours représenté pour eux.
Par contre, aussi paradoxal que cela puisse-t-il être, le temps de confinement pourrait être une occasion de vivre sa spiritualité d’une façon plus saine. C’est une opportunité de se redécouvrir soi-même, de consolider sa relation avec sa famille nucléaire et surtout de se rapprocher de Dieu d’une façon plus intime et loin du bruit de la société.
Finalement, cette pandémie a déjà duré trop longtemps. Les gens, de toutes les origines et de toutes les religions ont déjà assez souffert de l’isolement. La COVID-19 nous a montré jusqu’à quel point notre civilisation est fragile et jusqu’à quel point les destins des Hommes à travers le monde sont liés. Nous faisons face au même danger. Ce danger nous menace tous et ne voit pas nos différences d’origines ou de religions. Nous devons faire la même chose. Nous devons faire tomber les murs, physiques ou psychologiques, qui nous séparent et unir nos efforts pour sauver nos sociétés et bâtir un meilleur avenir pour nous et pour nos enfants.
Hassan Guillet
Imam, ingénieur et avocat à la retraite