*Présence publie des lettres ouvertes en lien avec l’actualité. Les opinions exprimées dans ces lettres n’engagent que l’auteur.
Depuis deux semaines, à coup d’images, de reportages et de sondages, les médias entretiennent un climat de peur chez une large part de la population québécoise. De (trop) nombreux commentateurs et chroniqueurs alimentent cette rhétorique et en profitent pour se mettre en valeur. Les médias sociaux s’enflamment d’opinions à l’emporte-pièce sur les réfugiés, les terroristes, les musulmans, etc. Et tout ce bavardage – qui bien souvent tourne au délire – est récupéré par une droite nationaliste, islamophobe ou conservatrice qui sévit dans l’espace public québécois, et ne manque jamais une occasion de recycler ses ritournelles.
Or, devant ces amalgames et ces discours de peur et de «choc des civilisations», que faire? Des femmes (faut-il s’en étonner?) ont compris que l’essentiel est ailleurs. Qu’il faut faire face au réel en quittant les discours abstraits sur la «sécurité», en sortant de la complaisance dans «l’opinion», et en mettant fin à la confrontation idéologique à coup de stupides pétitions «pour» ou «contre» les réfugiés. Qu’ont fait ces femmes? Elles ont commencé à tricoter des tuques! Sur le site 25 000 tuques, on peut lire: «L’idée est de fabriquer une tuque pour la remettre à un réfugié avec un petit mot d’accueil personnalisé glissé à l’intérieur par la tricoteuse ou le tricoteur. Un cadeau de bienvenue, de personne à personne». À partir de Montréal, le mouvement s’est répandu ailleurs au Québec – dont un groupe Facebook à Victoriaville.
Comment sortir de la rhétorique de peur, de la psychose sécuritaire et de l’escalade de la méfiance? En s’occupant de ce qu’il y a de plus concret: prendre soin du corps de l’autre, son prochain. Tricoter une tuque, pour commencer déjà à tricoter des liens avec celles et ceux qui s’en viennent. Pour que l’autre, qui arrivera bientôt, puisse bien sûr se tenir au chaud mais, surtout, ressentir la chaleur humaine de l’accueil et de l’hospitalité. Pendant que plusieurs ergotent et déblatèrent du haut de leur tribune, prenant leur «beaux discours» pour une finalité, des Québécoises passent aux actes. Elles tricotent le lien social et le vivre ensemble d’aujourd’hui et de demain. Elles posent un geste concret, très humble, d’apparence dérisoire et pourtant essentiel: s’occuper de la vie réelle, prendre soin des personnes dans le besoin et, ainsi, construire le corps social. Il n’y a pas d’autre base possible à la coexistence dans nos sociétés pluralistes et dans notre monde en tension.
Ces tricoteuses de la solidarité font l’honneur du Québec! En ces temps sombres, elles raniment un peu d’espoir en l’humanité. Et, à mes yeux, elles redonnent une actualité nouvelle à ce passage d’un vieux livre au fondement de la culture québécoise, mais pourtant issu du Proche-Orient: «J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu» (Matthieu 25, 35-36).
Marco Veilleux
Montréal
25 novembre 2015