Au cœur de la guerre contre la COVID-19 dans laquelle nous sommes actuellement engagés, commence à poindre l’enjeu du deuil collectif que nous aurons bientôt à assumer comme société.
En effet, à cause de la pandémie, il y a évidemment un très grand nombre de personnes qui auront à vivre des deuils inhabituels par rapport aux cadres normaux de ce processus essentiel sur le plan psychologique, social et spirituel. Pensons à la restriction ou à l’interdiction des visites au chevet des proches en fin de vie. Pensons aussi à l’absence des rituels communautaires qui auraient, d’ordinaire, accompagnés les décès. Pensons, enfin, à l’impossibilité de voir et de toucher les défunts, conjuguée au fait qu’il soit interdit de se rapprocher physiquement – chose pourtant si naturelle aux humains voulant communiquer leur sympathie et leur soutien. Tout cela complexifie énormément la démarche de deuil des proches de personnes décédées dans le contexte de la présente crise.
Il y a toutefois un autre défi à l’horizon, et il est de taille. C’est celui du deuil collectif que nous aurons à «métaboliser» dans notre corps social. Car nous ne pouvons pas vivre une crise sanitaire d’une telle ampleur, avec autant de bouleversements socioéconomiques, la funeste mise à jour quotidienne du nombre de décès et, surtout, la révélation des failles de notre réseau de la santé (surtout de nos milieux d’hébergement pour aînés), sans que cela ne cause de profonds impacts dans la population.
Il y aura, vraisemblablement, un traumatisme collectif dont il faudra tenir compte, et auquel nous aurons à trouver une forme d’expression rituelle, symbolique et sensée. Comment, dans quelques mois, pourrons-nous commémorer les milliers de victimes directes et indirectes de ce virus? Comment, surtout, allons-nous trouver une forme de guérison et de signification à la blessure et au trauma que cette crise aura laissé dans notre corps social? Car sans nul doute il y aura, en plus d’un sentiment de culpabilité collective, un niveau sans précédent d’anxiété, de fatigue physique et psychologique, de détresse spirituelle, de stress et de symptômes divers parmi la population.
Déjà, il nous faut donc commencer à réfléchir à des gestes, à des lieux et à des temps de ritualisation, de guérison et d’apaisement. Au-delà du défi qui se présente pour chaque individu ou famille endeuillés, c’est à un immense chantier de deuil collectif que nous sommes conviés.
Par exemple, pourrions-nous penser à une célébration commémorative nationale, télédiffusée, inclusive de la diversité des sensibilités religieuses et humanistes? Célébration à l’intérieur de laquelle le peuple québécois pourrait communier ensemble, à travers des témoignages, de la musique, des images, des textes et des gestes symboliques? À l’échelle de chaque ville ou région, nous pourrions penser à des formules semblables, mais adaptées à la situation locale. Les églises et communautés de foi seront certainement elles aussi interpellées. Enfin, il serait essentiel, dans chaque hôpital, CHSLD ou milieu d’hébergement, d’inventer des façons de faire mémoire des disparus, tout en réconfortant les survivants, honorant les efforts surhumains des professionnels de la santé et saluant notre mobilisation commune dans cette crise.
L’expertise des personnes formées en spiritualité et en accompagnement du deuil sera précieuse, il me semble, pour réfléchir à cet enjeu, sensibiliser tous les échelons de la société à son importance, et mettre en œuvre des propositions pertinentes pour y faire face.
Marco Veilleux
Etudiant à la maîtrise à l’Université de Montréal et intervenant en soins spirituels en milieu de santé