Une mission m’est confiée dès maintenant parce que j’ai reçu la lumière de l’espérance.
Mais seule mon action permettra à ce don rayonnant d’être un phare pour les blessés de l’indifférence.
– François Gervais. Oser la solidarité.
L’expression est sur toutes les lèvres: «crise du coronavirus.»
Indéniable et réelle, tant nos certitudes et habitudes en sont profondément bouleversées dans plusieurs facettes de notre vie personnelle et sociale, cette crise est aussi un moment de l’histoire habité par une grâce cachée dans un nouvel «à venir» qui fait signe à une Église en confinement forcé et appelée à être en sortie vers le monde pour lui proposer des pistes d’espérance.
Bien que le mot soit de nos jours utilisé pour une période de difficultés, le sens étymologique de «crise» est «décider», «faire un choix». C’est un phénomène qui se produit en de nombreux domaines et qui nécessite une gestion particulière, comme nous le constatons actuellement dans plusieurs sphères de l’activité humaine. Dans certains cas, elle peut même être bénéfique et entraîner un changement important.
Cette pandémie doit être un temps de kairos, affirmait Aloysius John, secrétaire général de Caritas Internationalis, dans L’Osservatore Romano du 14 avril dernier:
«Le monde ne pourra plus fonctionner comme il le faisait auparavant. À l’avenir, nous devrons orienter nos réflexions pour essayer d’être plus créatifs et maintenir l’élan de solidarité que nous avons connu lors du covid-19. Nous devons rechercher un nouvel ordre, économique et écologique, qui doit être intégral.»
Le terme kairos peut se traduire par «occasion», «moment propice, favorable». Dans l’Antiquité, il a d’abord été utilisé dans le domaine médical, chez les disciples d’Hippocrate, pour indiquer qu’il y a deux façons d’échouer dans le traitement d’une maladie: intervenir trop tôt ou trop tard, alors qu’il existe un temps opportun, la crise, pour soigner.
Cette crise du coronarivus laisse entrevoir une transformation profonde de toute la société québécoise dans une multitude de champs de l’activité socioéconomique: éducation, aînés, économie, travail, agriculture, environnement, urbanisme, communications, transport, santé, tourisme, sciences, etc.
Dans une perspective du salut chrétien, on peut y voir un signe, un appel à la conversion, individuelle et collective, à mettre en place un nouvel ordre du monde. On peut y voir une grâce.
Toute situation comporte une grâce divine, écrit Jean Richard (L’Horizon du croyant, Novalis, 1990, p. 80):
On ne doit pas dire que toute situation est grâce, au sens que toute situation nous serait directement donnée par Dieu comme une grâce. Il nous faut dire par contre que toute situation comporte une grâce. Et cela signifie qu’il nous faut voir Dieu présent dans la situation, plutôt que derrière la situation comme la cause derrière son effet. La grâce divine dans la situation, c’est d’abord le signe, l’appel qu’on peut lire et entendre dans cette situation, un signe et un appel qui nous indiquent la nouvelle orientation que doit prendre notre vie. Beaucoup plus cependant qu’un simple signe ou indication, la grâce divine présente dans la situation constitue la possibilité créatrice et la possibilité de salut que comporte toute situation, même la plus défavorable.
Pour l’Église universelle, le kairos se situe, et de façon claire, au niveau de sa contribution à l’avènement de structures sociales qui permettent le développement intégral dans la ligne droite du Royaume, inauguré par Jésus.
Les défis qui se présentent devant elle l’interpelle à dévoiler et proposer son riche enseignement social, mieux connu sous le vocable «Doctrine sociale de l’Église», qu’on qualifie souvent de «secret le mieux gardé de l’Église».
Toute l’actualité entourant la crise du coronavirus nous renvoient directement aux thèmes-clés centraux de cet enseignement (dignité de la personne, participation, bien commun, solidarité, subsidiarité, exercice de l’autorité, destination universelle des biens, option préférentielle pour les pauvres, etc.) et à sa méthode particulière d’action en matière de pastorale sociale (Voir-Juger-Agir).
Ce kairos vaut aussi pour l’Église du Québec.
En mai 2017, à Rome, le pape François a reçu les évêques du Québec pour faire le point sur la vie et la mission de l’Église dans leur diocèse. Transmission de la foi, rôle des laïcs et participation de l’Église dans les débats de société furent les dossiers que les évêques ont abordés, alors que les principales préoccupations exprimées par le pape étaient l’évangélisation et le besoin d’une implication complète des laïcs dans la mission de l’Église.
«Misez sur les les laïcs», leur a conseillé le pape.
Il aurait pu ajouter: «Misez sur l’enseignement social de l’Église, car c’est l’outil par excellence des laïcs pour la mission!»
Pour développer des pratiques ecclésiales incarnées et transformatrices des réalités sociales, économiques, culturelles et politiques du Québec, croyants et croyantes sont appelés à développer une meilleure compréhension de la foi chrétienne et à surmonter, dans l’Église, la méconnaissance du projet de Dieu dans la vie séculière, en valorisant son enseignement social.
En 1972, la Commission d’étude sur les laïcs et l’Église (Commission Dumont) avait déjà observé l’ampleur et l’urgence d’un problème d’incarnation:
«Le besoin majeur de la communauté chrétienne pourrait se formuler comme suit: elle doit se doter à tout prix d’instruments et de moyens de regroupements capables de favoriser efficacement une présence incarnée du christianisme au cœurs des activités courantes de la vie quotidienne, au cœur de la vie familiale, professionnelle, scientifique, économique, culturelle, sociale, politique, etc.».
Un outil précieux pour nous aider à effectuer le nouveau virage missionnaire dans sa dimension sociale a été produit en 2017 par le Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.
Ce document, intitulé Une Église en sortie: la dimension sociale de l’évangélisation aujourd’hui, porte sur deux volets – la formation et le partenariat (avec les institutions du milieu) – et contient plusieurs recommandations utiles.
Le temps est venu de s’approprier et de vivre le contenu de ce document pastoral. Nos frères et sœurs nous attendent…
Pierre Leclerc
Membre du conseil diocésain de Saint-Jérôme
Développement et Paix
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