La religieuse française Véronique Margron est sortie bouleversée de sa rencontre avec une délégation inuite ce mardi 13 septembre. Six Inuits du Nunavut sont à Paris et à Lyon cette semaine afin d’obtenir des autorités judiciaires et religieuses françaises un soutien à l’extradition de l’oblat Joannès Rivoire, accusé au Canada d’agressions sexuelles.
«Ce fut une rencontre d’une grande dignité», a confié à Présence la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), peu de temps après le départ des membres de la délégation vers les bureaux du ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti.
«Une rencontre d’une grande douleur aussi parce qu’elle est témoin de vies percluses de douleur, de vies hantées par des crimes», dit-elle, encore émue par les témoignages entendus et les propos échangés durant deux heures.
Ce rendez-vous avec «l’extrême humanité dépouillée» a vivement ébranlé cette dominicaine et auteure d’Un moment de vérité, abus sexuels dans l’Église, une théologienne s’engage (Albin Michel, 2019).
«Je n’étais pas là pour défendre quoi que ce soit, prévient-elle, mais pour être avant tout vulnérable à la tragédie vécue, à l’abîme des questions qu’ils se posent et à la colère, si légitime, qui est la leur.»
Soutien à l’extradition
La présidente de la CORREF ne «peut que soutenir et comprendre la demande d’extradition» que les membres de la délégation entendent présenter aux autorités politiques et judiciaires durant leur bref séjour en France. Les Oblats de France, eux aussi, soutiennent la demande d’extradition de leur confrère Rivoire, révèle sœur Margron, puisqu’ils ont écrit «en ce sens au président, à la première ministre et au ministre de la Justice».
La religieuse comprend toutefois que les affaires d’extradition entre pays prennent du temps. Mais le temps manque, dit-elle.
«On est dans le temps de l’urgence.» Joannès Rivoire est très âgé, ses victimes sont, elles aussi, âgées ou même décédées. «On a ici un vieux monsieur qui peut mourir n’importe quand. Alors que, quand il avait 60 ou 70 ans, on avait plus de temps afin qu’il puisse répondre de ses crimes et plus de temps pour que la justice se mette en branle.»
Pour accélérer le règlement de cette affaire, il faudrait convaincre Joannès Rivoire de se rendre au Canada afin de faire face à la justice. «Cela irait certainement plus vite s’il décidait, lui-même, de monter dans un avion», dit-elle.
Mais il a toujours rejeté cette option «malgré les demandes réitérées de ses supérieurs».
«Les Oblats n’ont pas de pouvoir de police», reconnaît toutefois la présidente de la CORREF. «Ils ne peuvent pas mettre cet homme dans un avion de force.»
N’empêche, dit-elle, s’il refuse de se rendre, les Oblats devront en tirer la conséquence. Il ne peut plus être membre de leur congrégation. «Et ça, ils peuvent le faire», affirme sœur Margron.
Faire la vérité
Une autre question a été discutée avec la délégation inuite lors de cette rencontre. «Et cette question relève entièrement des Oblats», dit la présidente de la CORREF. C’est celle de «faire la vérité» sur les «trente ans passés», depuis le départ précipité de Joannès Rivoire jusqu’à aujourd’hui.
«Pourquoi est-il rentré en Europe? Qu’est-ce que les Oblats, au Canada, à Rome et en France, savaient à ce moment-là? Quel a été le rôle des évêques successifs du diocèse de Churchill-Baie d’Hudson? Et pourquoi se retrouve-t-on, trente ans plus tard, encore avec cette affaire?»
Elle souhaite notamment «faire la vérité» en examinant les archives des Oblats et celles du diocèse de Churchill-Baie d’Hudson.
«Ma proposition – et je suis bien consciente que je n’ai pas de pouvoir sur les Oblats – c’est que soit constituée une commission d’enquête», formée de quelques historiens du Canada et de France, et dotée du mandat de «faire la vérité», rapidement s’entend, par l’examen des archives oblates et diocésaines.
Elle se dit confiante que les Oblats de France seront d’accord avec sa proposition. Un adjoint du supérieur oblat de France était d’ailleurs présent à cette rencontre lorsqu’elle a fait cette proposition.
Joannès Rivoire a été responsable de trois paroisses (Igloolik, Naujaat et Arviat) du diocèse de Churchill–Baie d’Hudson entre 1960 et 1992. Il a œuvré sous trois évêques, tous des oblats. C’est l’évêque Marc Lacroix (1948 à 1968) qui l’a accueilli, tandis que Mgr Reynald Rouleau, toujours vivant mais aujourd’hui retraité, dirigeait le diocèse lors de son départ du Canada il y a trente ans.
En juillet 2022, la veille de l’arrivée du pape François au Nunavut, le gouvernement du Canada a confirmé qu’une demande officielle d’extradition avait été déposée contre Joannès Rivoire auprès des autorités françaises.