«En 1993, je suis allée voir le dominicain Benoit Lacroix. Je vivais des moments difficiles. Après m'[être] ouverte à lui, il m’a agressée sexuellement sur une période d’environ trois mois dans son bureau. Je n’en ai jamais parlé car j’étais certaine que personne ne me croirait.»
En juillet 2019, l’artiste visuelle et auteure Cynthia Girard-Renard annonçait, dans sa page personnelle Facebook avoir été agressée par le dominicain. «J’avais besoin d’aide. Il m’a manipulée et m’a agressée sexuellement. Je suis certaine que je ne suis pas seule et qu’il a abusé d’autres jeunes femmes, comme moi à l’époque, vulnérables [et] en détresse».
Deux ans plus tard, le cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats dépose une demande d’autorisation d’intenter une action collective contre l’Ordre des Dominicains en raison d’agressions sexuelles commises par ses membres, dont le père Lacroix.
Dans la demande déposée le 30 juin au palais de justice et remise en même temps à la congrégation religieuse, Cynthia Girard note que c’est sa propre mère qui lui a conseillé d’aller chercher de l’aide auprès du célèbre dominicain, un prêtre reconnu comme «un guide spirituel réputé».
Les rencontres hebdomadaires entre le dominicain et la jeune femme alors âgée de 23 ans se déroulent dans son bureau du couvent Saint-Albert-le-Grand à Montréal et peuvent durer plusieurs heures. Mme Girard «se sent écoutée et supportée par une figure aidante qui partage avec elle un intérêt pour l’art». Ensemble, ils récitent de la poésie, écoutent de la musique et boivent du vin.
Lors d’une séance, le dominicain l’embrasse puis pose ses mains sur ses seins. «Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, elle est perturbée, elle fige et elle se met en mode pilote automatique, indique la requête. Elle craint que «si elle ne répond pas à ses désirs sexuels», la relation d’aide pourrait être interrompue.
Lors des dernières rencontres auxquelles elle accepte de participer, le dominicain «lui fait lire à haute voix des textes érotiques religieux, entre autres, qui la rendent inconfortable en plus d’imposer des actes sexuels».
Lorsque Cynthia Girard dit au père Lacroix qu’il est «menteur et malhonnête», celui-ci lui demande de garder le silence. Si elle dénonce ses gestes, «personne ne la croira», lui aurait-il lancé.
Ces allégations devront être prouvées lors d’un éventuel procès. Un juge doit d’abord autoriser l’exercice de ce recours collectif.
Les avocats de Cynthia Girard indiquent qu’une autre victime d’abus aurait contacté leurs bureaux. Les gestes reprochés auraient été commis à l’église Notre-Dame-de-Grâce, une paroisse de l’archidiocèse de Montréal longtemps sous la responsabilité des Dominicains.
Philosophe, théologien et historien, Benoît Lacroix a été directeur de l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal. Un vulgarisateur, un auteur et une personnalité très présente dans l’univers médiatique, ce dominicain est décédé en mars 2016 à l’âge de 100 ans.
Au moment de publier, l’Ordre des Dominicains n’avait pas encore réagi à cette demande de recours collectif.
Il y a deux ans, lors de la dénonciation publique faite par l’artiste Cynthia Girard-Renard, les autorités dominicaines avaient déclaré que jamais auparavant de telles allégations concernant Benoît Lacroix n’avaient été portées à leur connaissance. Ils indiquaient aussi que toute plainte serait traitée avec respect, dans un souci de justice, «même si la mémoire de notre frère devait en être ternie».