Le premier article de cette série s’est penché sur l’origine des reliques québécoise et le deuxième sur les ventes et les vols. Cet ultime texte s’intéresse à l’effet de la circulation des reliques sur notre patrimoine religieux.
Qu’en est-il de ces personnes qui se retrouvent avec des reliques et veulent s’en départir correctement ?
Dans un article de 2019 intitulé À qui incombe le patrimoine religieux québécois ?, Violette Loget et Yves Bergeron indiquent que «dans un contexte de transformations majeures, l’Église catholique du Québec reconnait et tente de parer à la dispersion de ses patrimoines. Si le phénomène de la mutation des églises est visible, la situation des biens mobiliers est beaucoup plus menacée », puisqu’ils peuvent être donnés, vendus ou volés, comme le sont les reliques.
Est-ce que la circulation des reliques hors du Québec représente une perte pour le patrimoine religieux du Québec?
Ce n’est pas si simple pour Michel Dahan, historien et ancien responsable des archives historiques du diocèse de Montréal.
«La question, c’est de savoir ce qui relève du patrimoine religieux. Est-ce que les reliques font partie du patrimoine religieux à mes yeux? Oui, parce que cela témoigne d’une certaine manière de vivre sa foi à l’époque. Si toutes les reliques disparaissent, toute trace de ces dévotions, de ce culte, disparaissent aussi.»
Toutefois, il souligne que pour plusieurs personnes, il est difficile aujourd’hui d’identifier le sens et la place des reliques dans le culte religieux. Quand des décisions financières doivent être prises, il est plus facile de justifier l’investissement dans la rénovation d’une église que dans la préservation des reliques, dont l’aspect macabre — tel que perçu dans la société actuelle — peut en rebuter certains. Notre rapport à la mort n’est en effet plus celui du XIXe siècle.
La vente des reliques à des collectionneurs privés est autant une perte pour le patrimoine québécois que pour les croyants québécois, selon David Bureau, archiviste du Centre d’archives et de documentation Roland-Gauthier à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal. «Si les reliquaires sont fabriqués par des maîtres artisans, c’est sûr que là, on vient de perdre quelque chose.»
Il y a aussi une perte pour les fidèles. Les reliques étaient autrefois exposées au public, mais si un collectionneur privé en achète certaines, l’usage de ces objets sera fait selon son bon vouloir. Au contraire, quand un diocèse reprend des reliques, des expositions, des recherches, des catalogues de photos peuvent être faits, permettant un usage plus large des reliques.
Bref, résume David Bureau, «dès qu’on retire quelque chose d’une démonstration publique pour l’envoyer dans un circuit fermé privé, on perd un peu la trace de ce savoir-faire d’artisans québécois ou canadiens, ou même à la limite européenne. On perd un peu cet accès à la beauté. Ensuite, on perd aussi un peu cette dévotion aux reliques qui devient peut-être plus banalisée ou désacralisée, dans le sens où elle devient quelque chose d’un peu bizarre plutôt que d’avoir une portée pastorale. Il y a une raison pour laquelle on se tourne vers les reliques, mais quand l’objet n’est plus utilisé pour son usage d’origine, on peut en faire un peu n’importe quoi, et le risque est assez élevé d’en faire un usage profane ou de transformer ça un peu comme un porte-bonheur, alors que l’objectif est tout autre au départ.»
Disposer des reliques: un mode d’emploi
Plusieurs personnes laïques peuvent se retrouver avec des reliques: dons, héritage d’un membre de la famille, etc. Le tout sans vraiment connaître la valeur de cet objet ou les règles qui l’entourent.
«C’est sûr qu’il est plus difficile aujourd’hui de rencontrer quelqu’un comme Michel Dahan, qui est vraiment spécialisé, ou Stéphane Martel, qui est au Musée Marguerite-Bourgeoys. Ce sont des spécialistes dans leur domaine. Je pense même que parfois, des religieux qui sont en service dans une paroisse ne sauront pas nécessairement quoi faire avec une relique non plus», détaille David Bureau. Plusieurs de ces personnes qui se retrouvent avec des reliques vont alors les vendre, puisque cela fonctionne très bien.
Mais d’autres se tournent vers des organisations au Québec. L’archiviste explique toutefois que devant des reliques, les archivistes religieux eux-mêmes sont souvent embêtés, car ces objets dépassent le cadre normal des archives. Les reliques d’un fondateur d’ordre religieux seront souvent redirigées vers le supérieur actuel de la communauté et aboutissent souvent dans leur chapelle. Si des reliques de saint frère André sont envoyées à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, par exemple, elles sont dirigées vers le fonds de dévotion pour en faire un usage religieux.
Bref, selon un guide préparé par l’Assemblée des chanceliers et chancelières du Québec pour le Regroupement des archivistes religieux, afin de se départir adéquatement d’une relique, il faut: 1) communiquer avec l’archiviste religieux responsable du lieu de culte où se trouve le corps de la personne sainte, si possible; 2) demander au diocèse s’il a de l’espace pour la conserver et 3) si aucun organisme ou aucune chapelle ne veut prendre la relique, l’inhumer dans un cimetière catholique. Cela peut se faire sans procédure particulière, mais il faudrait en faire part au cimetière.
Est-ce bien connu? L’archidiocèse de Montréal fait de la sensibilisation et répond aux demandes que les gens leur soumettent par rapport aux reliques, sans avoir de communications à grand déploiement pour le grand public à ce sujet.
Dans tous les cas, certaines personnes se départissent correctement de leurs reliques. Par exemple, Stéphane Martel, directeur adjoint et responsable de la recherche du Site historique Marguerite-Bourgeoys, racontait qu’au début de 2022, une personne âgée dont les enfants n’étaient pas intéressés par les reliques est venue donner au musée Marguerite Bourgeois une relique (un fragment d’os de la sainte) dûment authentifiée par un certificat.
Les pratiques en paroisse
Si les particuliers peuvent être en possession de reliques, c’est d’autant plus le cas des paroisses. Que deviennent-elles quand elles doivent fermer? Caroline Tanguay, directrice du Département des services administratifs aux fabriques de l’Archidiocèse catholique romain de Montréal, explique la procédure sur ce territoire.
Normalement, selon lorsqu’une église est fermée ou vendue dans le diocèse de Montréal, les reliques, reliquaires, autels (ou au moins leur relique) sont récupérés dans la réserve diocésaine. Parfois, dit Caroline Tanguay, le diocèse préserve aussi certains reliquaires de communautés religieuses qui veulent s’en départir correctement. Si une disposition doit se faire, la relique est enterrée dans une terre consacrée, généralement un cimetière ou encore, quoique plus rarement, incinérée.
Sur le territoire de l’archidiocèse de Montréal, si des objets de cultes ou des reliques sont vendus sur Internet par une paroisse et que c’est remarqué, la paroisse est avertie. Il arrive aussi à Caroline Tanguay d’intervenir pour faire retirer des objets de vente aux enchères. Par exemple, elle a dû intervenir pour faire retirer deux autels mis en vente sur Kijiji par une communauté religieuse. Les autels ont été récupérés pour qu’ils puissent être réutilisés dans un lieu propice. «Mais il y a tellement de sites et tellement de choses qui se passent que c’est pratiquement du temps plein.»