Nous commémorons le cinquième anniversaire du massacre de la grande mosquée de Québec qui a coûté la vie à six pères de familles, fait six veuves et dix-sept orphelins. À cela s’ajoute un autre père de famille, Ayman Derbali, devenu paraplégique, des dizaines de blessés et toute une communauté endeuillée.
Les noms de Azzedine Soufiane, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Ibrahima Barry et Aboubaker Thabti, et Ayman Derbali ont été prononcés haut et fort avec beaucoup d’émotion comme des cris de ralliement dans plusieurs rassemblements et sur plusieurs tribunes médiatiques d’un océan à l’autre.
Aucune de ces activités de commémoration ne pourra redonner à une veuve son mari ou à un orphelin son père ou à Ayman Derbali sa santé. Les vies d’Ayman, des veuves et des orphelins sont changées à jamais.
Visés pour leur foi
Le 3 février 2017, dans mon discours à Québec lors des funérailles des victimes du massacre, j’ai lancé un cri du cœur demandant que l’après-29 janvier 2017 soit différent d’avant. J’ai également appelé à toute la société, surtout les dirigeants politiques, dont plusieurs étaient présents et ont entendu mon discours directement, à prendre les mesures nécessaires pour que ces victimes soient les dernières victimes de la haine.
Mais malheureusement ce n’était pas le cas. En 2020, un bénévole d’une mosquée à Toronto fut assassiné devant la mosquée. En 2021, quatre membres d’une même famille musulmane ont été assassinés dans un parc à London, en Ontario, leur fils de neuf ans est resté blessé et orphelin. Les trois tueurs de Québec, Toronto et London ne connaissaient pas leurs victimes. Ils les ont choisies au hasard pour une seule raison: ce sont des musulmans.
Islamophobie et terrorisme
À la suite de ces crimes des leaders politiques au Canada, bien qu’à des degrés différents d’une personne à l’autre et d’un courant politique à l’autre, ont commencé à reconnaître l’existence de l’islamophobie dans la société.
Avant la tragédie à la grande mosquée de Québec, le terme «terroriste» était réservé aux musulmans. Beaucoup de gens essayaient d’accuser les musulmans de terrorisme simplement parce que certains musulmans ou ceux qui se réclament de l’islam ont perpétrés des attaques ici ou là dans le monde. Après l’attentat de Québec, le public a vite appris que l’auteur de cette fusillade est un Québécois d’origine francophone, de tradition catholique. Cela prouve que le terrorisme n’a ni nationalité, ni religion.
Le terrorisme est l’ennemi de toutes les religions, de toutes les nations.
L’auteur du massacre de Québec ne représente ni les Québécois, ni les Canadiens, ni les Français, ni les catholiques. Il ne représente que lui-même. De même, les terroristes qui tuent des innocents en prétendant agir au nom de l’islam ne représentent qu’eux-mêmes.
Bien situer l’événement
Le massacre au Centre culturel islamique de Québec a encouragé certains, surtout à l’extérieur du Québec, à tenter de faire du « Québec bashing » en accusant les Québécois de xénophobie ou d’islamophobie. Mais des massacres, il y en a eu avant et après celui de Québec en 2017. Ce qui montre qu’il y a des racistes et des islamophobes ici comme ailleurs. Il ne s’agit que d’une infime minorité de gens et qui ne représentent pas la société québécoise. Notre société reste très ouverte et très accueillante.
Par le passé, plusieurs ont tenté de résumer l’attentat à un acte isolé qui ne saurait prouver l’existence de l’islamophobie au pays. Mais les événements qui ont précédé et suivi cette attaque ont prouvé que l’islamophobie existe et ne peut être ignorée. Nous ne devons pas nous cacher derrière l’auteur de le tuerie pour nier l’existence de ce fléau et échapper à notre responsabilité sociétale.
Le 23 mars 2017, la Chambre des communes du Canada a adopté le mémorandum spécial M-103 condamnant l’islamophobie et «toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémique».
Le 28 janvier 2021, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de faire du 29 janvier une journée nationale de commémoration de l’attentat contre la mosquée de Québec et de lutte contre l’islamophobie.
Le 22 juillet 2021, le Sommet national canadien contre l’islamophobie a eu lieu. Ce sont des pas dans la bonne direction.
Toute vie compte
À l’instar du slogan «Les vies noires comptent», scandé après le meurtre de George Floyd, et «Tous les enfants comptent», lancé après la découverte des restes d’enfants des Premières Nations, il est temps de dire que la vie des musulmans compte aussi. Il est temps d’agir!
La lutte contre l’islamophobie ne vise pas uniquement la protection des musulmans. Les victimes des meurtres de Québec et de London sont des universitaires et des professionnels qui ont apporté une contribution très positive à la société canadienne. Ils ont choisi cette société pour y vivre et assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Ils servaient leur pays d’accueil avec dévouement et loyauté. Le plus grand perdant après leurs familles n’a pas été leur pays d’origine, mais plutôt la société canadienne, qui a perdu de bons citoyens. Les auteurs de ces crimes haineux n’ont pas détruit uniquement les vies de leurs victimes: ils ont aussi détruit leurs propres vies et celles de leurs familles.
Il est temps de revoir les programmes scolaires et universitaires pour enseigner à nos enfants l’ouverture et l’acceptation des autres. Nos enfants doivent apprendre dès leur plus jeune âge que leurs collègues musulmans sont des voisins et des partenaires, pas des ennemis ou des menaces.
Nous n’avons pas les mêmes origines mais nous appartenons tous à la même société. Nous devons nous assurer qu’elle soit libre de discrimination, de haine et de violence.
Après tout, probablement même avant tout, nous sommes tous des frères. Ou comme dit le pape François, citant François d’Assise qui, il y a des siècles, empruntait déjà un chemin de dialogue avec ses frères musulmans: Fratelli Tutti.
Hassan Guillet,
Imam, ingénieur et avocat à la retraite
Membre de la Table interreligieuse de concertation du Québec