Le 3 février, un article de Présence nous apprenait que l’exigence du passeport vaccinal, imposée par les autorités publiques pour accéder à un lieu de culte, «indispose profondément les évêques du Québec».
Par Marco Veilleux, intervenant en soins spirituels (Québec)
Bien que ces derniers n’aient pas l’intention de défier le gouvernement, ils reconnaissent toutefois «que de nombreux croyants et croyantes estiment que cette exigence constitue une discrimination intolérable qui prive les personnes non vaccinées du droit à leur liberté religieuse. Cette exclusion leur paraît incompatible avec l’essence même d’une communauté croyante accueillante de la diversité, compatissante et ouverte» – ce avec quoi les évêques se disent «tout à fait d’accord».
Se faire vacciner est un devoir élémentaire
Énonçons d’abord quelques faits: le vaccin réduit significativement les risques d’attraper ou de transmettre le virus de la COVID-19. Et si on l’attrape malgré tout, le vaccin nous protège généralement au moins contre les symptômes les plus graves pouvant nous conduire à engorger les hôpitaux et les unités de soins intensifs. Donc, se faire vacciner en temps de pandémie, quand on a le privilège de vivre dans une société où les vaccins sont accessibles, sécuritaires et gratuits, cela relève du devoir de solidarité humaine et de charité chrétienne le plus élémentaire. Il aurait été souhaitable que les évêques commencent leur lettre en rappelant ces vérités fondamentales.
À titre d’intervenant en soins spirituels, je travaille dans le réseau de la Santé depuis le début de la pandémie. Au cours des deux dernières années, j’ai été un témoin direct des conséquences de cette dernière sur la réalité concrète des patients, de leurs proches et du personnel soignant. Je suis toujours étonné, dans ce contexte inédit de crise, de constater avec quelle facilité certains se permettent d’émettre toutes sortes d’opinions sur la pandémie, ou bien montent en épingle la moindre apparence de contradiction chez les autorités publiques.
En contraste, dans leur lettre, les évêques «reconnaissent au gouvernement non seulement le droit, mais surtout le devoir d’intervenir pour assurer la santé et la sécurité de toutes et de tous». Et ce, précisent-ils «même si les décisions prises sont imparfaites et discutables, faites au prix de compromis scientifiques et politiques».
Lorsqu’on vit les choses de l’intérieur, on sait pertinemment en effet combien tout cela est complexe et que les autorités politiques et sanitaires cherchent à faire de leur mieux dans cette conjoncture mouvante et imprévisible. Et plus encore, on est conscient que les professionnels qui portent notre système de soins sur leurs épaules et tentent de le maintenir à flot, dans le dévouement et la compassion, forment depuis deux ans le seul et véritable «convoi de la liberté». Ils sont les gardiens et les artisans de ce bien commun et de ce bien essentiel qu’est notre réseau de la Santé.
Ce qui devrait donc «indisposer profondément» nos évêques, autant d’ailleurs que tous les autres croyants et citoyens, c’est plutôt les quelque 13 500 décès causés par cette pandémie à ce jour (particulièrement chez nos aînés); ce sont les traitements reportés par le délestage; ce sont les gens qui vivent avec des séquelles de la COVID longue; ce sont l’épuisement du personnel soignant et la fragilité structurelle de notre système de Santé, etc.
Sens de la mesure et des responsabilités
Face à tout cela, qu’y a-t-il de si grave dans le fait de demander une preuve vaccinale et le respect des mesures sanitaires à des fidèles qui viennent célébrer leur foi dans un lieu de culte? Cela occasionne, bien sûr, des désagréments. Il faut, entre autres, mettre en place et gérer cette logistique. Toutefois, ces irritants sont bien peu de chose en regard du risque potentiel d’éclosion au sein d’un rassemblement majoritairement constitué de personnes âgées particulièrement vulnérables – comme le sont nos assemblées liturgiques au Québec. Les évêques le disent clairement: «En ce temps exceptionnel de pandémie, les catholiques ont le devoir de joindre leurs efforts à ceux de tous les membres de la société pour assurer la sécurité et la santé de toutes et de tous. Et ce, même si certaines mesures portent atteinte pour un temps à l’exercice de certaines libertés.»
Alors pouvons-nous garder un peu de mesure et de sens des responsabilités dans nos propos? Cette exigence du passeport vaccinal n’est aucunement «une discrimination intolérable qui prive les personnes non vaccinées du droit à leur liberté religieuse». Il s’agit plutôt, de toute évidence, de la simple application du principe de précaution. Imaginons les conséquences funestes d’une éclosion dans une paroisse, suite à une célébration. Voulons-nous, comme croyants, être responsables de cela? N’est-il pas normal, pour des gens qui se veulent disciples de Jésus-Christ, de placer le souci des plus vulnérables avant leurs «droits et besoins individuels»?
«Mon corps m’appartient», a-t-on pu entendre dans la bouche de certains catholiques anti vaccins. Outre l’ironie de les voir reprendre ainsi un slogan du mouvement pour le droit à l’avortement, ce discours est surtout à mille lieues de la théologie paulinienne qui affirme que nous formons ensemble le corps du Christ, et que dans ce corps tous les membres sont appelés à se faire solidaires les uns des autres, dans le décentrement de soi et le souci du corps entier.
J’entendais récemment quelqu’un déplorer que certains croyants, qui revendiquent depuis des années plus d’ouverture dans nos assemblées pour les personnes divorcées ou homosexuelles, se montraient maintenant opposés à ce que des non-vaccinés participent avec eux à des célébrations liturgiques. Faut-il rappeler que le divorce et l’homosexualité ne sont pas des virus qui s’attrapent, alors que la COVID-19, elle, oui! Que des gens, souvent âgés, refusent d’être exposés à ce risque en allant à la messe me semble tout à fait responsable. Cela n’a rien à voir avec un quelconque «rejet de la diversité».
Au nom d’idéologies toxiques
Dans ce même article de Présence, le cardinal Lacroix disait «craindre que l’imposition du passeport vaccinal ne divise davantage les communautés chrétiennes». Cette division s’est effectivement installée depuis longtemps. Une division, il faut le dire, particulièrement exacerbée par cette frange de la société et de l’Église qui, au nom d’idéologies politiques et religieuses toxiques, va à l’encontre de l’effort collectif et des sacrifices consentis par la majorité au cours des deux dernières années. Alors, si des croyants refusent de se faire vacciner et de porter le masque pour aller à l’église, eh bien qu’ils restent chez eux! Ils peuvent très bien suivre la messe à la télévision, sans risque pour eux-mêmes et pour les autres. La liberté de culte n’implique certainement pas un «droit» de mettre sa santé et sa vie en danger, ni celles des autres. Il ne faudrait quand même pas faire des personnes non vaccinées des martyrs! Elles doivent, un jour ou l’autre, assumer les conséquences de leur choix. Les évêques pourraient aussi le leur rappeler.
Bref, ce qui est prioritairement en cause ici n’est ni la liberté ni l’accueil de la diversité des opinions. Il s’agit bien plutôt d’un enjeu très concret et immédiat de protection de notre système de soins, ainsi que de «respect de la vie» des autres comme de soi – ce que des catholiques devraient être en mesure de comprendre il me semble. Citant le Concile Vatican II, les évêques rappellent d’ailleurs judicieusement dans leur lettre que la «liberté n’est pas absolue: elle vient avec une responsabilité à l’égard du bien commun». À entendre le discours actuel de certains croyants, on se demande vraiment où sont passés leur capacité de discernement spirituel et leur sens de la hiérarchie des valeurs.
Cessons de délirer: il n’y a présentement ni complot, ni dictature, ni attaque délibérée contre les libertés politiques et religieuses. Ce qu’il y a, c’est une pandémie qui est venue tout bouleverser et que le monde entier cherche à contenir, tant bien que mal. Celle-ci nous confronte à notre fragilité humaine. Elle nous renvoie à notre interdépendance radicale en tant que membres d’un corps social et ecclésial. Elle nous rappelle l’importance et les limites de nos institutions publiques, dont chacun et chacune est responsable et solidaire. Au final, cette pandémie nous renvoie donc au «manque» dans l’être humain: nous ne savons pas tout, nous ne pouvons pas tout et nous n’avons pas tout. Nous ne sommes pas tout-puissants. Croire le contraire est un péché d’orgueil. Cette révélation semble, pour certains, insupportable à accueillir – ce qui est plutôt étonnant de la part de personnes se disant croyantes.
Extrême droite politique et religieuse
Mais peut-être que nous ne sommes plus du tout, ici, sur le terrain de l’Évangile et de la pratique religieuse? En effet, ce que cette pandémie a mis en lumière (et qui devrait davantage «indisposer les évêques»), c’est plutôt l’intensification des liens, au Québec et ailleurs, entre une extrême droite fascisante et suprématiste, et des mouvances religieuses (catholiques et protestantes) intégristes et fondamentalistes. Ces sinistres accointances ont d’ailleurs été récemment analysées par le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR). Cela est plus que troublant.
Le journaliste et chroniqueur du Devoir, Jean-François Nadeau, rapportait dans un article du 29 janvier qu’une figure de la vie monastique québécoise, active sur les médias sociaux, lui avait vanté les mérites des propos de l’agitateur Alexis Cossette-Trudel sur la pandémie. En outre ce moine, «qui ne croit pas au vaccin», lui suggérait «d’écouter des sites connus pour diffuser des idées complotistes mâtinées de propos d’extrême droite, dont Rumble et la Quinta Columna». Il y a de quoi en perdre son latin! Nous sommes rendus bien loin de la foi et de la spiritualité chrétienne. Est-ce que l’extrême droite «est compatible – pour reprendre les mots des évêques – avec l’essence même d’une communauté croyante accueillante de la diversité, compatissante et ouverte»? Poser la question, c’est y répondre.
Au début de son pontificat, le pape François avait dit qu’il voyait l’Église «comme un hôpital de campagne» où il s’agit d’aller au plus urgent et de soigner les blessures. L’image était prophétique, car aujourd’hui c’est toute la société qui est devenue un tel hôpital. Or, dans notre Église, celles et ceux qui refusent obstinément le vaccin, qui méprisent les mesures sanitaires ou qui sont dans le déni par rapport à la pandémie, sont aussi très souvent les mêmes qui ont peu d’affinités avec la vision et les orientations du pape François, voire qui s’y opposent carrément. Est-ce que cela préoccupe aussi nos évêques? Il le faudrait.
