Le 16 janvier 2023, l’avocat Alain Arsenault reçoit une lettre qui débute par ces mots: «Par la présente, je vous décris une agression que j’ai subie, un dimanche, en 1992, dans la sacristie du Grand Séminaire de Montréal».
La victime présumée, dont le nom est caviardé, explique que ce dimanche, elle «préparait le missel, le lectionnaire et l’évangéliaire», une tâche qui consiste à insérer des signets dans les pages où sont affichés les textes qui seront lus ou proclamés durant la prochaine célébration eucharistique.
C’est alors que le célébrant se place derrière elle. Ses deux mains sur la table «de chaque côté de moi» l’empêchant de se dégager, le prêtre frotte alors son bassin sur elle.
Ce prêtre, elle s’en souvient très bien, est un sulpicien de 48 ans du nom de Marc Ouellet. Ce prêtre est alors le supérieur du Grand Séminaire de Montréal.
«Ma réaction a été si rapide et brusque que je n’ai pas pu constater si Monsieur Ouellet, p.s.s., a eu ou non une érection», écrit cette femme dans sa lettre de cinq paragraphes.
«Je vous autorise, Me Arsenault, à utiliser cette lettre comme bon vous le jugez afin d’aider madame Paméla Groleau et toutes autres victimes du cardinal Ouellet.»
Cette lettre fait partie des documents que la défense a déposés dans la poursuite en diffamation qu’intente le cardinal Marc Ouellet contre Paméla Groleau. Jusqu’à ce matin, une ordonnance de non-publication empêchait les médias d’en dévoiler le contenu. L’ordonnance a été levée ce matin lors d’une brève audience tenue au Palais de justice de Montréal.
«Gardez vos mains chez vous»
Deux autres documents déposés par les avocats de Paméla Groleau mentionnent d’autres faits troublants qui sont connus du pape François depuis 2014.
Une femme, qui a rencontré le cardinal Ouellet pour la première fois en 2004, explique avoir longtemps éprouvé une grande admiration pour l’archevêque de Québec et le préfet du dicastère pour les évêques. Elle le considérait comme un représentant de Dieu. Elle le rencontrait occasionnellement à l’archevêché de Québec et «il arrivait régulièrement qu’en même temps que nous nous parlions, nous nous tenions la main pendant peut-être une trentaine de minutes». Lors de son départ, «on se faisait un ou deux câlins, qui duraient assez longtemps», peut-être 30 secondes avance-t-elle, mais sans certitude.
Mais le 7 juillet 2014, une situation «a été plutôt ambigüe et m’a mise mal à l’aise». La femme et son copain discutent avec le cardinal-préfet alors en visite au Québec. La situation financière du couple est abordée. Au terme de la discussion, après «un deuxième câlin», le cardinal «s’est empressé de glisser un 50 $ dans mon gilet, vis-à-vis le haut de ma poitrine». Il a ensuite poussé le billet «un peu plus loin, trop loin».
Le lendemain, la femme prévient son accompagnatrice spirituelle, qui lui conseille de rencontrer rapidement le cardinal Gérald Lacroix, l’archevêque qui a succédé au cardinal Ouellet, et aussi «d’écrire au cardinal Ouellet pour lui dire que ce qu’il a fait, ça ne se fait pas».
L’archevêque de Québec conseille à la femme d’écrire une lettre au pape François. Il est aussi convenu de remettre la somme reçue au cardinal Ouellet, en l’acheminant à l’adresse de ses parents.
Dans la lettre qu’elle a envoyée au pape François, elle explique qu’elle a hésité à faire connaître le geste du cardinal car elle ne «voulait pas détruire sa réputation, qui est si fragile au Québec». Mais, confie-t-elle au pape, c’est son «image de Dieu» et de l’Église qui a «été atteinte» par ce geste déplacé.
Son courriel envoyé au cardinal Ouellet est toutefois plus direct. Il se termine par cet avertissement: «S’il-vous-plaît, ayez un peu de retenue et gardez vos mains chez vous».
Mentionnons qu’aucune de ces allégations n’a subi le test des tribunaux.
Réaction du cardinal Ouellet
Une heure après la levée de l’ordonnance de non-publication, le cardinal Marc Ouellet a remis aux médias une longue déclaration dans laquelle il nie avoir eu des comportements répréhensibles à l’égard de Paméla Groleau ou d’autres femmes.
«Cette vision des choses ne cadre pas avec la personne que je suis et constitue de nouvelles allégations diffamatoires à mon égard. Je nie fermement avoir posé quelque geste inapproprié que ce soit à l’égard de ces femmes.»
«En formulant de telles allégations, madame Groleau continue à me prêter des intentions qui s’avèrent sans fondement. J’entends le démontrer devant le tribunal dans le cadre d’un procès et répondre alors à ces allégations, en toute transparence.»
Les gestes allégués ne sont «rien d’autre que des gestes de cordialité posés dans un contexte de représentations publiques». Le cardinal ajoute que «les gestes dont il est question ici auraient tous été posés, sans exception, au vu et au su de plusieurs personnes présentes, tout près des événements allégués».
Expliquant qu’il est «toujours allé à la rencontre des gens et continuerai de le faire», il annonce ensuite que «plusieurs personnes impliquées dans les activités auxquelles j’ai participé viendront en témoigner lors du procès».
Des femmes ont compris ma douleur
Paméla Groleau, de son côté, se dit très touchée par les témoignages que ses avocats ont recueillis.
«Des femmes ont entendu mon cri, des femmes ont compris ma douleur parce qu’elles l’ont elles-mêmes vécu.»
Ce sont des «femmes qui ne me connaissaient pas et que je ne connaissais pas» mais qui ont «demandé à témoigner de leur propre histoire souffrante pour m’appuyer», a-t-elle déclaré.
«Elles ont cru en moi sans même me connaître.»
Paméla Groleau dit que depuis qu’elle est sortie de l’anonymat, elle a reçu plusieurs témoignages de solidarité ainsi que «des confidences d’hommes et de femmes, parfois représentants de l’institution ecclésiale comme moi, qui ont été victimes d’agression et n’ont pas reçu de support de l’institution».
Elle remercie particulièrement ces deux femmes «qui ont accepté de témoigner» lors du procès intenté contre elle par le cardinal Marc Ouellet. «Je leur en serai à jamais reconnaissante.»