On croirait que la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) a la piqûre des échecs de communications. La plus récente ne pouvait plus mal tomber. Le 9 mars, dans un contexte où le pays entier s’accroche à l’espoir de la vaccination pour sortir de la pandémie, la CECC a publié une note sur le choix des vaccins créant confusion et tollé médiatique. C’est le troisième dossier en trois ans où la CECC sème la controverse publiquement et qu’il s’ensuit une dissension parmi les catholiques – et parmi les évêques, privément ou publiquement. Je n’ai aucune gêne à vous le dire: rectifier le tir ne suffit plus.
La note de la CECC du 9 mars encourageait les catholiques canadiens à éviter les vaccins de AstraZeneca ou Johnson & Johnson, et à choisir si possible ceux de Moderna et Pfizer, ces derniers n’utilisant pas de lignées cellulaires dérivées de l’avortement pour leur développement et production, contrairement aux deux premiers (détails à lire ici). Cette position ne diffère pas de celle émise par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 2020, qui affirmait même qu’en absence de choix de vaccin, il est moralement acceptable de recourir à des vaccins relevant de lignées cellulaires abortives. Le problème de la note de la CECC? Il est bien connu qu’au Canada, la population n’a pas la possibilité de choisir son vaccin. Or, la CECC invitait justement à choisir, et puis dans la même note, rappelait qu’en l’absence de choix, tout vaccin autorisé est acceptable en bonne conscience.
À quoi donc servait cette note, alors, si ce n’est de semer la zizanie? En moins de 24 h, plusieurs évêques québécois se sont dissociés du discours de la CECC. Le 11 mars, la CECC publiait une clarification admettant qu’il n’est pas possible de choisir au Canada… et que tout vaccin offert conviendra!
Mais qui parle, au juste?
Le revirement en quelques heures de certains évêques québécois trahit un modus operandi très contestable au sein de la CECC. Comment en effet, une conférence épiscopale, censée parler d’une seule voix au nom des évêques catholiques canadiens, peut-elle ne pas les avoir consultés pour un sujet aussi sensible et susceptible de créer une controverse? En d’autres mots, qui a souhaité et publié cette note?
En réalité, nous ne le savons pas.
Ainsi, lorsqu’une chroniqueuse s’insurge contre «les évêques canadiens» (en faisant des liens sans pertinence avec les thèses de QAnon), elle ne fait pas de distinction entre la totalité des évêques et le fonctionnement réel de leur conférence. Les catholiques en général n’en font pas non plus. Et c’est un problème.
Who’s calling the shots? – pardonnez le jeu de mots – est une question plus que valable. La note de la CECC n’est pas signée. Vient-elle du Conseil permanent de la CECC? Probablement pas, car certains membres et représentants se sont distancés de la note – à croire qu’ils n’étaient pas au courant. Alors, est-ce du Bureau de direction? Du Bureau du secrétaire général? Qui a voulu écrire cette déclaration et pour quoi?
Cette note a été une communication bâclée, non juste par son contenu (au final, inutile car s’annulant lui-même), mais aussi par son moment de parution. Pour le sens du timing, on repassera. Trouver le moyen de centrer l’attention encore une fois sur l’obsession de l’avortement, le lendemain du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, il faut le faire. Parvenir en plus à exaspérer l’opinion publique ainsi que des leaders et des fidèles catholiques, au moment d’une commémoration nationale des défunts de la COVID-19, c’est insensé.
Mais l’enjeu fondamental est en-deçà des questions de communication. C’est une question de structure, de représentativité et d’ecclésiologie.
Une conférence épiscopale n’est pas l’Église
Une conférence épiscopale a un pouvoir décisionnel dans la mesure où ses évêques réunis en «assemblée plénière» prennent des décisions ou confient des mandats. Entre deux assemblées plénières annuelles, il est normal qu’un conseil permanent, un bureau de direction et un secrétaire général assurent la gouvernance régulière. Cependant, sur des questions sensibles, la collégialité entre évêques est de mise. Et lorsqu’il n’y en a pas, nous sommes en droit de nous demander qui est responsable. En Église, on a même ce concept idéaliste de synodalité, qui réfère à la participation de toutes les personnes baptisées dans la vie et la mission de l’Église et sa gouvernance, à divers degrés. Cela implique des mots comme consultation, discernement commun, co-responsabilité… Nous en sommes très loin, n’est-ce pas? (Et puis, pensez-vous qu’il y a des femmes dans les instances nommées ci-haut? Bien sûr que non. Mais nous repasserons pour cette question, comme depuis 2000 ans.)
Ainsi, l’Église et «les évêques» ne se résument pas à une conférence épiscopale. Mais avec le cas de cette note de la CECC sur la vaccination, nous constatons qu’une conférence épiscopale peut diviser l’Église et ses propres pasteurs. Ce qui est lourd de conséquences.
Les évêques sont les gardiens de l’unité, de la catholicité de l’Église. Or, sous couvert d’une instance officielle, une minorité de personnes apparemment anonymes parle au nom de l’ensemble des évêques et divise l’Église. Un état de fait qui donne lieu à une dynamique de prise d’otages, d’abus de pouvoir et de communications bâclées.
C’est loin d’être la première fois, comme j’évoquais d’entrée de jeu. Des controverses publiques et des divisions plus graves et plus ahurissantes sont le lot de la CECC depuis quelques années.
Pensons, entre autres, au dossier embarrassant des non-excuses aux peuples autochtones en 2018 et à celui de Développement et Paix. Dans le premier cas, la CECC se perdait notamment en froides considérations de juridictions canoniques au détriment d’un élan de réconciliation avec les peuples autochtones. Le deuxième cas est un exemple scandaleux de manque de transparence.
Ça suffit
Chers évêques, une minorité parle en votre nom et sème la division dans l’Église canadienne. Ces personnes, qui qu’elles soient, doivent vous rendre des comptes. Qui plus est, les personnes baptisées sont en droit de vous demander des comptes sur ces situations qui entachent la crédibilité de l’Église. Est-il nécessaire de rappeler les dégâts causés par la culture du secret et les silences complices au sein de l’Église? La majorité des catholiques engagés est épuisée et découragée par cette mascarade de leadership qui fait ombrage à tout ce qu’il y a de bon «sur le terrain».
C’est pourquoi rectifier le tir ne suffit plus. Avec lucidité et courage, il est temps de vacciner l’Église contre le virus d’une doctrine rigide et d’une autocratie fatale.
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