Désormais, les femmes seront officiellement incluses dans la possibilité d’exercer les fonctions de lecteur et d’acolyte (service à l’autel) dans les églises. Avec sa lettre apostolique Spiritus Domini publiée le 11 janvier, le pape François modifie l’article 230 §1 du Code de droit canonique de l’Église. Moment historique ou pétard mouillé?
Dans bon nombre de pays, les filles servent depuis longtemps à l’autel, et des femmes sont lectrices, ministres de la communion et même commentatrices des textes bibliques. Dans ce contexte, la nouvelle parait déphasée et légaliste: elle vient plutôt valider le bon sens de la pratique des fidèles.
Beaucoup de filles et de femmes vivent le désir brûlant de servir, au milieu d’une communauté de foi, par la parole et par le geste. Au Québec, il semble que la majorité d’entre elles ont pu accomplir ces fonctions liturgiques. Ailleurs dans le monde, cette ouverture n’a pas été et n’est pas toujours partagée. Un article de 1994 dans le L.A. Times rendait compte de la division sur ce sujet de la participation des filles à l’action liturgique. En 2012, grâce à une carte collaborative «des exclusions de la liturgie en France» initiée par le Comité de la jupe, on avait chiffré à 39% l’exclusion des filles du service à l’autel, pour les 325 paroisses recensées à l’époque.
Une lente évolution
Ce changement du droit ecclésial est en cohérence avec des souhaits exprimés lors du Synode pour l’Amazonie en 2019, pour que soit mieux exprimée la coresponsabilité de tous les baptisés, femmes et hommes, dans l’animation de la vie de l’Église. Mais à regarder de plus près comment ce cheminement vers le changement s’est fait, il faut avouer qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
Une bonne explication est donnée dans la lettre du pape François qui accompagne le motu proprio et qui est adressée à la Congrégation pour la doctrine de la foi. En bref, le concile de Vatican II (1962-65) désirait que la liturgie reflète la «participation pleine, active et consciente» de tous les fidèles. Le pape Paul VI, en 1972, a changé les «ordres mineurs» qu’étaient le lectorat et l’acolytat pour qu’ils ne soient plus des rituels d’ordination avant celle de la prêtrise, et deviennent des ministères «institués» pour d’autres hommes, sans que ceux-ci cheminent nécessairement vers l’ordination.
En 1994 paraît une clarification de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, sous forme de lettre aux présidents des conférences des évêques dans le monde (15 mars 1994). Cette lettre attestait de l’interprétation du Conseil pontifical pour les textes législatifs, confirmant que rien dans le Code de droit canonique (dans sa révision de 1983) n’interdisait des filles comme servantes d’autel.
Avant le changement introduit par le motu proprio du 11 janvier 2021, l’article du Droit canon se lisait ainsi:
230 – § 1. Les laïcs hommes qui ont l’âge et les qualités requises établies par décret de la conférence des Évêques, peuvent être admis d’une manière stable par le rite liturgique prescrit aux ministères de lecteur et d’acolyte.
Suite à l’amendement, on devrait donc lire: «Les personnes laïques qui ont l’âge et les qualités requises…». (L’article était encore inchangé en date du 12 janvier sur le site web du Vatican).
Concrètement, cela signifie-t-il que des filles interdites de servir la messe dans une paroisse pourront invoquer le droit canon? Peut-être. Encore leur faudra-t-il affronter la machine ecclésiastique et la lenteur reconnue des suivis. Quant à «l’âge et les qualités requises» pour lire et être acolyte, cela pourrait être à la discrétion des évêques. En France, la conférence épiscopale fixe cet âge à 25 ans depuis 1986.
Il faut bien comprendre qu’en tout cela, on ne parle même pas des fonctions ordinaires de lecture et de service du dimanche, mais de la possibilité d’instituer des personnes laïques, hommes et femmes, dans les ministères permanents du lectorat et de l’acolytat, par un rite public et diocésain, confié par l’évêque dans le cadre d’une mission pastorale. La possibilité existe maintenant pour les femmes. En pratique, on verra bien comment cela va se déployer.
Se réjouir?
En voyant l’annonce du 11 janvier, je me suis mise à penser à la perception de cette nouvelle par ce grand pourcentage de la société qui n’est pas croyant. Les femmes catholiques ont maintenant le droit de lire à l’église et de servir la messe? On a déjà vu plus avant-gardiste…
Inclure les femmes dans l’action liturgique devrait aller de pair avec l’inclusion bien plus grande des femmes dans les assemblées synodales et les instances de décision et de gouvernance. Laïques, théologiennes, consacrées, féministes avérées ou pas, de tous horizons culturels. Évêques, pape François: montrez aux femmes que leurs voix comptent vraiment. Elles veulent constater de vrais changements et participer à leur élaboration. Autrement, il n’y a toujours que les clercs qui ont les cartes en main pour jouer l’avenir.
Inclure les femmes dans la liturgie, certes, mais les protéger réellement et faire en sorte que justice soit faite pour toutes celles qui ont subi des abus au sein de l’Église. Inclure les femmes dans la liturgie, oui, mais reconnaître le cœur et le charisme des femmes qui désirent animer des communautés de foi.
On peut se réjouir de ce petit pas. Mais à avancer avec tant de lenteur et de complexité, il y a le risque déjà concret que pour beaucoup de femmes, le désir brulant qui nourrit leur engagement depuis longtemps commence à avoir un petit goût de cendre et d’amertume.
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