Faisons un petit exercice. Allez faire un tour dans la section des commentaires d’une publication sur les réseaux sociaux provenant d’un média, d’une personnalité politique ou publique, ou même de Présence. Comptez le nombre d’insultes, de bêtises ou d’éléments de désinformation qui s’additionnent dans les commentaires. Maintenant, imaginez un événement «en présentiel», comme un congrès ou un point de presse, où ces commentaires venimeux seraient énoncés par des personnes au micro du public. Que se passerait-il? Quelqu’un interviendrait pour y mettre fin, pour enlever ou éteindre le micro, voire faire sortir ces personnes de la salle. Alors, pourquoi le tolérons-nous autant dans les réseaux sociaux?
Liberté d’expression ou d’oppression?
Voilà environ 15 ans que nous vivons une expérimentation mondiale au sein des espaces que sont Facebook, Twitter, Instagram, YouTube et tant d’autres. Ces plateformes ont laissé croire à une démocratisation de la prise de parole. En réalité, elle est constamment régie par des algorithmes obscurs et en constante évolution, alimentés par nos propres interactions entre individus et avec des publicités, de même que par des «gestionnaires de communauté» qui ont l’ingrate tâche de modérer les propos qui dépassent les bornes. Parole libérée? Parole encadrée, plutôt. Ce qui ne l’empêche pas de se buter aux limites de la liberté d’expression qui, elle, est encadrée par des lois.
Tout n’est pas permis, mais il n’est pas si aisé de s’entendre sur ce qui est acceptable ou non. Où s’arrête la liberté d’opinion? Quand est-ce que l’insulte approche la diffamation ou devient un discours haineux? Combien d’injures une personne doit-elle endurer, souvent au prix de sa santé mentale, avant de dénoncer l’intimidation ou une forme d’harcèlement virtuel? L’enjeu dépasse les réseaux sociaux, évidemment.
Un poison de confusion
Le premier ministre québécois François Legault dénonçait ces comportements à la fin mars 2021, étant lui-même aux premières loges d’invectives de toutes sortes à chaque point de presse sur la pandémie. Récemment, la campagne Liberté d’oppression a été lancée afin de dénoncer «la désinformation, les propos haineux, injurieux, diffamatoires et/ou discriminatoires dans certains médias québécois, qu’ils soient proférés à l’encontre de personnes, de catégories de personnes ou d’organismes».
La première action pour contrer cette liberté d’oppression – qui parait particulièrement exacerbée en ce temps de pandémie – reste l’éducation.
Il y a un poison qui s’appelle confusion et que l’on voit à l’œuvre dans le fait que bon nombre de personnes ne comprennent plus le rôle de la presse et des médias, ni comment se comporter dans l’espace numérique. La Semaine de la presse et des médias a été lancée pour rappeler leur engagement au service de la vérité et des faits, pour le bien du public et son droit à une information de qualité. Or, beaucoup de médias d’information, dont Présence, présentent une diversité de contenus. Il y a des reportages basés sur des faits, des entrevues, des sources protégées et des enquêtes, et il y a par ailleurs des chroniques d’opinion, des chroniques littéraires ou culturelles.
Je ne saurais assez inciter à une éducation populaire à ce sujet. L’opinion n’est pas une vérité. Elle est une réflexion contextualisée, relative à des faits. Énoncer une opinion exige d’être informé et responsable. Lire une opinion exige tout autant de saisir ce qu’on lit et d’y réagir de manière responsable. L’éducation au dialogue et au débat est cruciale. La reconnaissance de la valeur du journalisme est aussi fondamentale, et constitue un pilier de la démocratie (l’expérience Trump en désinformation suffit à l’illustrer). Des personnes s’entêtent toutefois à accuser des journalistes de mensonge, de délation ou même à les attaquer. Cinquante journalistes ont été tués en 2020 selon Reporters sans frontières, dont 38 ont connu la mort dans des pays en paix, et non des zones de guerre.
Religiosité mal placée
Pourquoi certaines personnes sont-elles aussi enclines à l’injure écrite (ou plus) lorsque des faits ou une réflexion contredisent leur opinion? J’y vois une incapacité à faire face à l’altérité, à la différence. Le fait est «autre», et la personne qui exprime une réflexion divergente représente une altérité. Une opinion érigée en croyance se manifeste par une religiosité mal placée: la conviction de détenir la vérité. La vérification des faits, le respect de l’autre et la bienséance cèdent ainsi la place aux propos diffamatoires, aux tentatives de discréditer un média ou ses journalistes, et même aux idées complotistes. Voilà pourquoi nous assistons à des chasses aux sorcières (les propos sexistes et les menaces de violences sexuelles envers les femmes au premier rang), à la quête de boucs émissaires (certains préfèrent attaquer l’intégrité du messager que considérer l’enjeu d’un reportage), et à une désagrégation générale de l’ambiance des réseaux sociaux.
Blessés par ces miroirs nombrilistes devenus exutoires inquiétants et fosses aux lions, combien de personnalités publiques se retirent pour préserver leur qualité de vie et se reconstruire? Le désaccord dérange, certainement, mais il est sain et nécessaire à l’avancement de la réflexion. Toutefois, l’insulte n’est pas l’expression d’un désaccord. L’insulte n’a aucune valeur en elle-même, sinon celle de donner un sentiment d’importance à la personne qui la profère. Mais cela n’engendre rien, sinon encore plus de polarisation.
Aucun média n’est épargné par ce phénomène préoccupant, y compris notre agence. Faire du journalisme indépendant sur l’actualité religieuse, grâce à des reportages sur des enjeux socioreligieux actuels, des enquêtes en collaboration avec des personnes qui ont droit à la protection des sources journalistiques, et des chroniques, c’est l’engagement de Présence pour le bien commun, aussi humble soit sa contribution.
Présence a observé une multiplication des dérives langagières depuis environ deux ans dans les espaces de commentaires. Nous avons d’ailleurs dû retirer l’option de commenter directement sur notre site tellement il fallait filtrer continuellement des propos calomnieux. La netiquette proposée par la FPJQ, dont sont membres nos deux journalistes et à laquelle nous adhérons, nous a poussé à supprimer nombre de commentaires et à bloquer des internautes récidivistes sur Facebook et Twitter. Prendre la parole dans nos pages, comme ailleurs, est un privilège et non un droit. Le droit de nos artisans à ne pas subir la diffamation, des propos sexistes ou des attaques personnelles prime sur la liberté d’expression d’individus irrespectueux. En cas de menaces et de propos haineux, nous avons le devoir et l’obligation de les signaler aux corps policiers.
«Aimez-vous les uns les autres» a dit un certain Jésus. Certaines personnes auraient sûrement intérêt à méditer cette parole en silence. Avant qu’il ne leur soit imposé, pour le bien des autres. Quant à la majorité respectueuse qui se donne la peine de nourrir des échanges édifiants, merci.
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