La scène d’ouverture du documentaire De l’autre côté est saisissante. Une chapelle silencieuse, que l’on voit au travers de la fine clôture séparant le chœur de la nef. Une à une, une dizaine des moniales bénédictines de l’Abbaye Sainte-Marie des Deux-Montagnes entrent et s’inclinent — devant l’autel, on le comprend, mais comme l’autel est absent de ce plan, il s’agit presque d’une salutation au spectateur. Ce dernier est, comme le réalisateur Lessandro Sócrates, invité à l’intérieur de la clôture pontificale* dans ce magnifique documentaire sur la vie de ces religieuses.
Au niveau visuel, le réalisateur joue habilement avec la clôture, mise subtilement en évidence dans certaines scènes, que la caméra soit d’un côté ou de l’autre des grilles. Mais plus le film avance, plus la caméra se rapproche des moniales et de leur quotidien, rythmé par les activités qui les occupent entre chacun des sept offices qu’elles célèbrent chaque jour. Pas de voyeurisme ici, on comprend que le documentaire a été réalisé grâce à une relation respectueuse qui s’est développée au fil du temps.
« En 2013, pendant la réalisation de mon court métrage documentaire L’iconographe, j’ai eu la chance de rencontrer deux moniales de l’Abbaye Sainte-Marie des Deux-Montagnes, sœur Louise et sœur Martine », explique Lessandro Sócrates.
« À la fin du tournage, elles m’ont invité à leur rendre visite à l’abbaye. C’est au cours de cette première visite que m’est venue l’idée de tourner un long métrage documentaire sur ce mode de vie qui me semblait, à l’époque, si singulier et mystérieux, et dans lequel l’art, sous plusieurs de ses formes, semblait occuper une place prépondérante. Une relation d’amitié et de confiance s’est alors construite progressivement, au long de plusieurs visites de recherche au cours desquelles je prenais des photos et tournais des images en mode exploratoire. Ce n’est qu’après plusieurs mois que j’ai été invité à aller de l’autre côté de la clôture. »
Le tournage du documentaire s’est échelonné sur plusieurs années, selon les disponibilités du réalisateur, et a pu finalement être mené à terme grâce à une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec en 2021.
À l’intérieur de la clôture donc, on découvre des moniales travaillant sur des icônes ou jouant de la musique. Elles font des tâches « ordinaires » telles que le lavage, mais aussi des activités plus surprenantes pour les non-initiés, comme vider l’encensoir, préparer une chasuble ou nettoyer un bénitier. Toujours, les religieuses portent l’habit monastique, ici avec un tablier, tandis que là le voile est retenu derrière la tête par une épingle pour ne pas gêner. Ce sont ces détails que le documentaire permet de mettre en lumière dans des scènes rythmées par le tic-tac d’une horloge, le chant grégorien ou le son des cloches.
En effet, le silence domine dans le film, mais les moments d’échanges montrent la joie de vivre des moniales, par exemple lorsqu’elles feuillettent un album photo, s’amusent autour d’un jeu de société ou discutent avec la mère abbesse.
Les interactions avec le réalisateur sont quant à elles encore plus rares. Dans une longue scène, la moniale organiste lui explique la signification de sa pièce pour la fête de sainte Scholastique. Dans une autre, une religieuse âgée se surprend de le voir au milieu du corridor. Mais on sent une réelle complicité tout au long du film et effectivement, ce qui a le plus touché Lessandro Sócrates dans cette expérience, c’est l’ouverture et la générosité avec lesquelles ces moniales l’ont accueilli dans leur monde.
« De l’autre côté est devenu un film sur une rencontre, celle d’un jeune cinéaste brésilien récemment arrivé au Canada, d’un côté, et d’une vingtaine de moniales cloîtrées québécoises, de l’autre. » Ce constat de Lessandro Sócrates se retrouve à mon avis encapsulé dans les deux dernières scènes du film, qui se superposent brillamment. D’abord un moment de connivence avec le réalisateur, qui laisse sa caméra sous la supervision d’un groupe de moniales pour s’initier à la luge sous leurs rires encourageants. Puis, juste après le rappel du titre, c’est un brusque retour de l’autre côté de la clôture, dans la chapelle : les moniales s’inclinent, sortent, éteignent les lumières.
Ce film surprend par son sujet, sa lenteur et le fait qu’il faut soi-même en tirer des conclusions, puisqu’il n’y a pas de narration. On peut y voir par exemple une partie de l’héritage religieux de la province. Mais les multiples chaises vides de la chapelle ne passent pas inaperçues, ni la grandeur du monastère qui contrastait avec une si petite communauté, signe du déclin des vocations religieuses qui est d’ailleurs évoqué dans le documentaire.
Les personnes s’intéressant à la préservation et à l’histoire du patrimoine religieux seront probablement heureuses de voir des images préservées du quotidien de ce type de vie consacrée. Et dans tous les cas, il est intéressant de découvrir le témoignage très humain de femmes, dont on entend peu parler, ayant décidé de vivre une vie contemplative.
De l’autre côté
Lessandro Sócrates, 2022, 83 minutes.
Projection les 22 et 25 novembre 2022 durant la 25e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM)
* Il existe trois types de clôture pour les contemplatives. La clôture papale ou pontificale qui «exclut des engagements extérieurs d’apostolat». La clôture constitutionnelle définie par les normes des constitutions propres. La clôture monastique qui permet des formes plus larges d’accueil et d’hospitalité.