Le 13 avril, au Gesù, a eu lieu la Première montréalaise du documentaire 1948, L’Affaire Silicose. L’histoire d’une injustice. Le film, réalisé par Bruno Carrière, revient sur un scandale qui a fait grand bruit en 1948, quelques mois à peine avant la sortie du Refus Global et de la fameuse grève de l’amiante. Révélée par la revue Relations, sous la plume du franco-américain Burton Ledoux, l’affaire silicose a été un des moments phares de la période pré-Révolution tranquille.
«Mon souvenir, c’est le choc que nous avons eu, en 1948, en lisant la revue Relations dans laquelle il y avait cet article de [Burton] Ledoux qui nous faisait prendre conscience qu’il y avait au Québec une industrie qui tuait ses ouvriers.»
C’est sur ce témoignage du sociologue Guy Rocher que s’ouvre le documentaire coup poing du réalisateur Bruno Carrière qui s’est grandement inspiré du collectif L’affaire Silicose par deux fondateurs de Relations sous la direction de Suzanne Clavette publié par Les Presses de l’Université Laval en 2006.
L’industrie dont il est question ici est la Canadian China Clay qui exploitait une mine de silice dans la municipalité de Saint-Rémi-d’Amherst.
«La silice compose 60% de la croûte terrestre. À l’état naturel, la silice n’est pas dangereuse. Elle le devient lorsque l’on transforme ce caillou en poussière», explique dans le documentaire la docteure Marie-Laure Hemery, spécialiste en médecine du travail.
La silice entre dans la fabrication du verre, du savon et de détergents. La Canadian China Clay était la propriété de la Noranda Mines dirigée par la très influente famille Timmins, propriétaire de plusieurs mines.
La poussière de silice provoque une maladie appelée la silicose. «C’est une maladie incurable. Il n’y a pas de traitement», explique la docteure Hemery. Elle se développe lentement dans les poumons des travailleurs qui ne sont pas adéquatement protégés. Or, les mineurs de la mine de Saint-Rémi ont été exposés à une telle quantité de poussière que la maladie s’est développée très rapidement.
«Les premiers symptômes qui ont dû apparaître à cette époque sont l’essoufflement, d’abord en faisant un effort, puis au repos; de la toux sèche, de la fièvre, de l’amaigrissement intense et enfin l’altération de l’état général.»
L’effet d’une «bombe»
Dans son article-fleuve paru dans la revue Relations, Burton Ledoux accuse la compagnie d’avoir négligé ces symptômes alors que la maladie était connue depuis longtemps déjà.
«On en a parlé constamment dans l’industrie minière. Il est impossible que les propriétaires n’en aient pas été pleinement informés. […] Il s’agit ici de négligence criminelle. D’un état des choses équivalent au meurtre légalisé», dénonce-t-il dans son article considéré maintenant comme le précurseur du journalisme d’enquête au Québec.
La revue Relations et Burton Ledoux publièrent même une liste de 46 «Canadiens français de Saint-Rémi-d’Amherst morts de la silicose sacrifiés à la stupidité humaine».
«L’article de Burton Ledoux a été une véritable bombe. Cela a suscité beaucoup d’intérêt chez les lecteurs. Les gens l’ont pris au sérieux. L’article a été reproduit dans Le Devoir. On en a parlé dans différents journaux», souligne Jean-Marc Biron, l’ancien provincial des Jésuites du Canada français.
Pressions
La réaction de la famille Timmins ne s’est pas fait attendre comme le démontre Bruno Carrière. Des pressions ont été exercées sur les jésuites, sur la revue Relations, sur Burton Ledoux ainsi que sur l’évêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, celui-là même qui, quelques mois plus tard, allait prendre la défense des mineurs de la mine d’amiante à Asbestos.
La revue Relations a été forcée de publier une rectification ainsi qu’un droit de réponse à la compagnie. L’équipe rédactionnelle a été remplacée par une autre plus conservatrice qui a dirigé la revue pendant une décennie. Le directeur de la revue, Jean-d’Auteuil Richard, a été exilé à Sudbury en Ontario.
Dans une entrevue accordée à Présence, Bruno Carrière avance que le Groupe Timmins avait songé à poursuivre Le Devoir qui avait reproduit l’article. «Cependant l’article avait été reproduit dans beaucoup de journaux. Il a été repris partout. Ils ont vite abandonné l’idée, car ils auraient été obligés de poursuivre La Tribune, Le Nouvelliste, Le Soleil.»
Village damné
En lieu et place, le Groupe Timmins a décidé de démolir purement et simplement les installations de Saint-Rémi sans dédommager les veuves des mineurs décédés ou malades.
«Leurs seuls recours c’étaient d’aller voir le curé du village afin d’obtenir un peu d’aumônes», selon sœur Gisèle Turcot, membre de l’Institut Notre-Dame-du-bon-Conseil de Montréal qui témoigne dans le documentaire.
Élisabeth Garant, directrice du Centre Justice et foi et de la revue Relations ajoute que Burton Ledoux évoquait dans son article que des femmes allaient même jusqu’à se prostituer afin de répondre aux besoins de leurs enfants.
«Le gouvernement du Québec était au courant qu’il y avait des victimes de la silicose», rappelle le réalisateur du documentaire. Cependant ce scandale, souligne-t-il, survient juste au moment où Duplessis avait «cédé le Labrador aux grands joueurs industriels pour trois fois rien». Il avait intérêt à ce que ce dossier se règle rapidement.
«Pour moi, c’était la première fois où j’ai été scandalisé de la manière dont les autorités religieuses réglaient un problème social. Je n’avais pas encore connu un scandale de cette ampleur», témoigne Guy Rocher.
Une affaire étouffée
Malgré tout, l’affaire silicose a été vite oubliée.
«La manière dont cette affaire a été étouffée par le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique explique en partie pourquoi elle a rapidement été oubliée. L’autre facteur est le fait que l’affaire silicose a eu lieu en 1948. La grève de l’amiante a eu lieu en 1949. Celle-ci a été tellement plus importante comme événement, tellement plus significative», avance Bruno Carrière.
La silicose fait encore des victimes auprès de certaines catégories de travailleurs. «C’est une maladie qui est toujours active et elle fait l’objet de surveillance», souligne la docteure Marie-Laure Hemery.
Le documentaire sera diffusé dans le futur Centre d’interprétation du territoire de la municipalité d’Amherst qui sera inauguré vers la fin de cette année. Il sera également présenté officiellement au Festival international du film d’histoire de Montréal le 18 mai.