Je ne suis pas sûr d’être un bon chrétien. J’ai la foi, je paie ma dîme, mais je ne participe à l’eucharistie que quelques fois par année, à Noël, à Pâques, à la Saint-Jean et en quelques autres occasions spéciales. Cette paresse pratiquante fait-elle de moi un mauvais chrétien ? J’espère que non. J’ai la prétention, en effet, de pratiquer autrement, c’est-à-dire, principalement, en lisant des ouvrages religieux, en restant branché sur la réflexion chrétienne et en essayant d’agir, au quotidien, comme un modeste disciple du Christ.
Si la pratique dominicale ne me manque pas, je suis cependant attristé par son effondrement collectif. Les chiffres sont clairs. Dans Pas pratiquants, les Québécois ? (Novalis, 2022, 200 pages), un ouvrage collectif « sur la pratique religieuse aujourd’hui », le collègue Yves Casgrain en met quelques-uns en lumière.
En 2019, selon Statistique Canada, « seulement 25 % des catholiques [au Canada] se rendent dans un lieu de culte au moins une fois par mois ». Au Québec, « 18 % des répondants affirment pratiquer ». D’autres enquêtes en arrivent à un taux de 5 % de pratiquants hebdomadaires. Les résultats peuvent varier un peu d’une année à l’autre et d’une enquête à l’autre, mais le fait demeure : la pratique traditionnelle s’effondre. En France, on assiste au même phénomène. En 2021, selon l’Ifop, 6,6 % des Français se disaient catholiques pratiquants. Comme ces derniers sont souvent âgés, force est de constater que l’avenir de l’Église n’est pas là.
Casgrain précise, avec raison, que ces données ne doivent pas nous faire conclure à une généralisation de la non-croyance au Québec. En 2021, en effet, un sondage Léger révélait que 51 % des Québécois disaient croire en Dieu. Toutefois, dans un sondage CROP de 2017, on apprenait que « seulement 14 % croient au Dieu qu’enseigne l’Église » et que 37 % croyaient en un Dieu « modelé à leur façon ».
Il y a donc, au Québec, une présence assez forte de spiritualité ou de religiosité, qui s’exprime de diverses façons : désir de contact spirituel avec la nature, pèlerinage individuel de style Compostelle, pratique de la méditation, mais aussi, ce qui est plus inquiétant, passion pour l’ésotérisme de pacotille. Pour un catholique, il n’y a rien de consolant là-dedans.
Le deuil et l’espoir
Doctorante en sciences des religions à l’Université Laval et chroniqueuse à Présence, Sabrina Di Matteo n’hésite pas à se définir comme « une fille d’Église ». Dans Pas pratiquants, les Québécois ?, elle constate néanmoins que les choses ont changé et que la situation actuelle de l’institution impose de vivre un deuil. « J’ai réalisé, écrit-elle, que l’Église de mon enfance et de mon adolescence avait pris un coup de vieux et qu’elle ne reviendrait jamais comme avant. » S’ils ne sont pas à l’origine du déclin de la pratique, les scandales, dans l’Église, ont tout de même contribué au discrédit de l’institution.
Di Matteo ne perd pas espoir de faire vivre l’Église autrement. L’avenir ne passe plus par la fréquentation de la messe du dimanche, mais le christianisme n’est pas mort pour autant. Pour vivre, toutefois, il doit trouver un équilibre entre « la relation personnelle avec Dieu et la relation avec une communauté ». Sans l’existence de cette dernière, dont les nouvelles formes restent à trouver, l’expérience chrétienne est fragilisée.
Un autre équilibre indispensable à l’avenir du christianisme est celui entre la foi intime et le monde. La pratique ne doit pas se limiter à la prière en privé ou en assemblée. « Notre foi, insiste Di Matteo, nous envoie dans le monde et nous demande de le transformer » en nous engageant « en faveur de politiques pour l’élimination de la pauvreté, pour la sauvegarde de l’environnement, pour la paix durable ».
S’il faut, enfin, s’ouvrir aux richesses des autres traditions religieuses ou de pensée, il importe aussi d’« honorer la cohérence de la vision chrétienne » pour ne pas en affadir le message. « Par exemple, explique Di Matteo, si nous croyons en la résurrection et en la dignité de chaque personne, unique et sauvée gracieusement par un Dieu de miséricorde, nous ne pouvons pas en même temps croire en une réincarnation qui condamne les personnes à se perfectionner jusqu’à acquérir le salut. »
Le style chrétien
Di Matteo nous invite donc à penser la pratique autrement. Cette idée revient dans presque tous les textes qui composent Pas pratiquants, les Québécois ?. La théologienne Sophie Tremblay évoque « un “style de vie” qui trouve son fil conducteur dans la posture du disciple ». Ce qui compte, suggère-t-elle, ce n’est pas tant la messe du dimanche qu’une « manière authentique et sans ostentation de vivre en disciple, en actes et en vérité, sans multiplier les discours ».
Le franciscain séculier Richard Chartier propose le modèle du « pratiquant altruiste ». La vraie pratique religieuse, explique-t-il, tient moins à des rites qu’à « des gestes et des actions à caractère humanitaire », que l’on soit croyant ou non.
Dans un esprit semblable, le théologien Jocelyn Girard plaide pour « une pastorale des Béatitudes », qui « mettrait la priorité sur la valeur de l’humanité avant toute chose », qui « valoriserait le versant “visible” du divin dans la vie des gens », ce qui rejoint la figure du pratiquant altruiste, et qui inviterait les disciples à se reconnaître et à se regrouper pour agir ensemble dans le monde et pour aimer ce monde « à la manière de Dieu », c’est-à-dire sans naïveté quant au mal qui le ronge, mais avec le désir de « retourner les choses pour qu’elles se placent en tension vers le Royaume ».
Entretenir le Verbe
Les catholiques québécois ne peuvent plus s’illusionner. Le modèle pratiquant d’hier agonise et l’institution a perdu de son lustre. Dans le monde intellectuel où j’œuvre, il est par exemple devenu extrêmement difficile de se dire catholique sans susciter la méfiance ou s’attirer les quolibets. Citer Jésus, au mieux, fait sourire ou, au pire, fait naître le mépris.
Hier vus comme des positions militantes, l’agnosticisme et l’athéisme sont aujourd’hui considérés comme la position neutre dans l’espace public, alors que l’affirmation croyante est accueillie avec soupçon. Les chrétiens raisonnables, pourtant, partisans de la laïcité depuis longtemps, n’ont rien d’intellectuellement suspect et peuvent apporter au débat public un point de vue riche et original qui a droit de cité.
Il y a toutes sortes de manières de pratiquer. La mienne passe principalement par la réflexion, théologique, philosophique et littéraire. Ce n’est pas la messe, mais ça entretient la flamme du Verbe.