Voici le texte de l’homélie prononcée par Mgr Pierre Morissette lors des funérailles du chanoine Jacques Grand’Maison à la cathédrale de Saint-Jérôme le 19 novembre 2016.
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Les deux textes de la Parole de Dieu que l’on vient de proclamer (Job,19,23-27 et Mt,25,31-40) nous parlent des deux amours de Jacques: d’une part, Dieu, d’autre part les hommes et les femmes de chez nous. Je ne pense pas me tromper en disant que la vie de Jacques a été un long effort pour que ces deux amours se rencontrent. Il a œuvré pour que ses concitoyens, concitoyennes découvrent ou redécouvrent l’amour de Dieu… non pas un Dieu lointain, tout-puissant que l’on rejoindrait en sortant de nos tâches humaines, mais un Dieu incarné, un Dieu qui, en Jésus, s’est mêlé à la pâte humaine, un Dieu que l’on rencontre quand on travaille à une plus grande humanisation de notre monde, un Dieu que l’on rencontre quand on se préoccupe, que l’on prend soin de nos frères et sœurs qui souffrent.
Au fond, Jacques a parlé de Dieu pendant toute sa vie. Pourtant, il n’avait rien d’un «preacher» dont la foi aurait semblé très assurée. Il ne se sentait pas possesseur de la vérité sur Dieu; il ne pouvait donc pas imposer sa vision de Dieu. La foi, pour lui, était un risque, un risque sur Dieu… un risque qu’il a assumé jusqu’à la fin de sa vie… Sans fanfaronnade, dans la modestie. Écoutons-le:
«Je découvre, dans une maladie au bord de la mort, le silence mystérieux, lumineux et réconfortant de Dieu. Et aussi celui de Jésus qui, dans le premier texte évangélique de sa Passion, ne disait pas un seul mot.
… Même la Résurrection passe par là… un tombeau ouvert, comme dans la première version de l’Évangile de Marc. De l’au-delà, je ne sais rien. Et pourtant, je crois qu’il m’attend les bras ouverts. Dixit Job. Je ne quitte pas, j’arrive. Sans carte accréditée, sans appellation contrôlée, sans drapeau, avec mes doutes non résolus et ma foi entêtée en Toi, mon Dieu.» Il écrivait encore: «Je n’ai jamais eu le baptême facile. Et je soupçonne n’être pas le seul présentement à traverser l’exil et le désert en risquant l’horizon mystérieux d’une nouvelle terre et de cieux nouveaux. S’il y a là une certitude, elle ne vient pas de moi. Faut, encore là le redire: il n’y a pas de foi sans modestie. Comme la source qui ne sait pas par quels chemins elle ira à la mer. Symbole des choses lointaines et majeures sur lesquelles ouvrent nos humbles balbutiements de prière.»
C’est avec cette foi où tous les doutes ne sont pas résolus, où la certitude est modeste, où le risque est présent que Jacques a parlé de Dieu aux hommes et aux femmes de chez nous. Cette posture (pour employer un terme qu’il a utilisé tant et tant) lui permettait de se mettre à l’écoute de ses interlocuteurs. Il reconnaissait lui-même qu’il a beaucoup appris dans son cheminement avec des laïcs. «On ne transmet rien au monde, si on ne l’aime pas, si on a un regard noir sur lui, si l’on est extérieur à lui, si l’on pense qu’on a rien à apprendre de lui, comme si l’on oubliait que l’Esprit-Saint y travaille et nous guide et nous enseigne à travers lui.» Au fond, Jacques parlait de Dieu en même temps qu’il le cherchait avec ses interlocuteurs. Il n’avait pas de réponse toute faite. Son esprit demeurait ouvert aux paroles des autres, aux événements et tout cela lui parlait de Dieu.
Dans ses écrits, il n’était par ailleurs pas toujours tendre. Il pouvait jouer dur.
Et, à certains moments, il avait l’accent du prophète. ll s’indignait. Il exprimait ses impatiences avec vigueur. Il dénonçait «les valeurs molles, la conscience molle, les pratiques molles, la foi molle… qui font un peuple mou et des chrétiens mous», reconnaissant toutefois dans un de ses derniers textes que «ce procès était beaucoup trop unilatéral et exagéré. La vie est tellement dure pour tant de gens! Jésus de Nazareth ne nous a pas révélé un Dieu, Père fouettard!»
Jacques a beaucoup écrit dans sa vie. Il ne pouvait vivre sans écrire. Il l’a fait jusqu’à la fin. Il avait un style touffu, parfois échevelé, pas toujours facile à déchiffrer. Certaines phrases méritaient une deuxième lecture. Un confrère, qui avait sans doute de la difficulté à le lire, lui demanda un jour, en toute charité sacerdotale, quand il ferait «traduire» ses livres! Par ailleurs, ce qui était facile à percevoir chez lui, facile à déchiffrer, c’était sa bonté, son esprit fraternel, sa chaleur humaine et son sourire si attachant!
Nous sommes réunis autour de l’autel du Seigneur où Jacques s’est souvent retrouvé pendant 60 ans de vie sacerdotale. Rendons grâce au Seigneur pour cette vie pleine, donnée à l’Église et à la société québécoise, en suivant la recommandation qu’il nous a faite: «Mes amis, ne pleurez pas, pensez aux bons moments vécus ensemble.»
Que le Seigneur l’accueille et lui rende au centuple tout ce qu’il a fait de bien parmi nous!
Mgr Pierre Morissette
Évêque de Saint-Jérôme
19 novembre 2016